LE TRIBUNAL REVOLUTIONNAIRE
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- Débats parlementaires - Textes de loi - Siège - Composition - Compétence - Procédures - Peines |
La jeune République Française proclamée le 21 septembre 1792 n'est décidément pas du goût des cours royales et impériales européennes qui redoublent d'effort pour faire plier le gouvernement révolutionnaire. Ainsi, malgré une première campagne victorieuse de "libération" des territoires connexes tels la Suisse et la Belgique d'octobre à décembre 1792, la situation se dégrade rapidement pour les armées françaises qui se voient contraintes de lutter dès le début de l'année suivante sur tous les fronts contre toute l'Europe coalisée.
En outre, l'exécution du roi Louis XVI survenue le 21 janvier 1793 n'a rien arrangé en cristallisant une fronde de révoltes dans plusieurs départements de France notamment en Vendée et en Bretagne.
La situation pour le moins désastreuse de cette France assiégée de toute part oblige alors la Convention nationale à appeler sous les drapeaux tous les citoyens aptes à se battre. A cette occasion, la section révolutionnaire du Louvre adresse à certains députés le ressenti général des personnes embrigadées :
Ce souhait faisait écho au tribunal exceptionnel créé antérieurement le 17 août 1792 chargé de juger sommairement toutes personnes suspectées de ne pas acter l'abolition de la monarchie du 10 août et la détention du Roi qui s'ensuivit dans la prison du Temple.
Cette juridiction extraordinaire fut ensuite supprimée le 29 septembre soit près d'un mois après les fameux "massacres" commencés le 2 du même mois où les parisiens sont allés eux-mêmes "épurer" leurs prisons.
Le 9 mars 1793, le député Jean-Baptiste Carrier propose sans attendre "l'établissement d'un tribunal révolutionnaire [et que] le Comité de législation présente [son] mode d'organisation."
Le même jour, les débats commencent au plus haut sommet de l'Etat. La Convention, bien que pressée par la rue et le contexte militaro-politique, restait malgré tout divisée sur cette question : schématiquement le parti modéré, la "Gironde", alors majoritaire à l'Assemblée, était contre la création d'une juridiction extraordinaire tandis que le parti minoritaire plus extrême, la "Montagne", était pour. L'affaire eut été entendue sans la virulence des tribuns montagnards et une atmosphère d'insurrection à Paris. Morceaux choisis :
Conformément à la proposition du député René Levasseur, le Comité de législation se réunit le soir même pour bâtir un projet d'organisation de la juridiction. Le lendemain, ce dernier est discuté par les députés de la Convention et finalement amendé de plusieurs contre-propositions, débouchant alors sur la loi du 10 mars 1793 portant création du tribunal criminel extraordinaire (complétée ultérieurement par celle du 7 mai 1793).
Le Tribunal révolutionnaire siégeait dans une dépendance de la prison de la Conciergerie située sur l'île de la Cité à Paris.
Deux salles étaient utilisées par le personnel pour l'instruction et deux autres pour les audiences : la salle de l'Egalité (ancienne Tournelle criminelle) et la salle de Liberté (anciennement la Grand'chambre du Parlement de Paris).
ARTICLE 2 DU TITRE I Le tribunal sera composé d'un jury et de cinq juges. ARTICLE 5 DU TITRE I Les juges seront nommés par la Convention nationale. ARTICLE 6 DU TITRE I Il y aura auprès du tribunal un accusateur public et deux substituts qui seront nommés par la Convention nationale. ARTICLE 7 DU TITRE I Il sera nommé par la Convention nationale douze citoyens [...] qui rempliront les fonctions de jurés. |
L'accusateur public : véritable maillon essentiel de la chaîne judicaire révolutionnaire, c'est à lui que revenait la charge d'arrêter et de déférer devant le Tribunal toutes les personnes suspectées d'avoir commis un crime contre la République au sens de l'article premier de la loi du 10 mars 1793. Quant aux députés de la Convention et aux généraux, relevant en théorie de la compétence du Comité de sûreté générale, l'accusateur public décidait finalement dans les faits du sort de ces personnes en réexaminant lui-même les réquisitions du Comité.
Le célèbre Antoine Fouquier-Tinville (1746 - 1795) fut le plus charismatique de ceux qui occupèrent ce poste.
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ARTICLE 1 DU TITRE I DE LA LOI DU 10 MARS 1793 Il sera établi à Paris un tribunal criminel extraordinaire qui connaîtra de toute entreprise contre-révolutionnaire, de tout attentat contre la liberté, l'égalité, l'unité, l'indivisibilité de la République, la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat, et de tous les complots tendant à rétablir la royauté ou à établir toute autre autorité attentatoire à la liberté, à l'égalité et à la souveraineté du peuple. |
ARTICLE 9 DU TITRE I Tous les procès-verbaux de dénonciation, d’information, d’arrestation seront adressés en expédition par les corps administratifs à la Convention nationale, qui les renverra à une commission de ses membres chargée d’en faire l’examen et de lui en faire le rapport. ARTICLE 12 DU TITRE I Les jurés voteront et formeront leur déclaration publiquement, à haute voix, à la pluralité absolue des suffrages. ARTICLE 13 DU TITRE I Les jugements seront exécutés sans recours au tribunal de cassation. ARTICLE 14 DU TITRE I Les accusés en fuite qui ne se représenteront pas dans les trois mois du jugement seront traités comme émigrés et sujet aux mêmes peines, soit par rapport à leur personne, soit par rapport à leurs biens. |
Un mandat d'arrêt est produit systématiquement contre le suspect qui est interrogé directement par l'accusateur public ou son substitut. Deux cas de figure s'offrent à lui :
A l'audience, le président demande à l'accusé de répondre à la question suivante : "Vos nom, prénom, âge, qualité, lieu de naissance ?" puis le greffier fait la lecture à l'assistance des charges retenues contre ce dernier dans l'acte d'accusation. On enjoint alors les témoins choisis par l'accusation et la défense de venir s'exprimer, et c'est seulement après que le suspect peut faire valoir son innocence, avec ou sans l'aide d'un avocat. Enfin le président du Tribunal récapitule les arguments des deux partis et pose les questions auxquelles les jurés devront répondre ; ceux-ci se retirent alors dans une pièce annexe pour délibérer, tandis que l'on fait également sortir l'accusé de la pièce.
A leur retour, et conformément à l'article 12 de la loi du 10 mars 1793, chaque membre du jury prononce à voix haute sa décision et le président rappelle l'individu pour lui en signifier la teneur. L'accusateur public présente alors ses conclusions pour que le président prononce la sentence, soit d'acquittement, soit de condamnation.
ARTICLE 1 DU TITRE II Les juges du tribunal extraordinaire prononceront les peines portées par le code pénal, et les lois postérieures contre les accusés convaincus, et lorsque les délits qui demeureront constants, seront dans la classe de ceux qui doivent être punis des peines de la police correctionnelle, le tribunal prononcera ces peines sans renvoyer les accusés aux tribunaux de police. ARTICLE 2 DU TITRE II Les biens de ceux qui seront condamnés à la peine de mort seront acquis à la République, et il sera pourvu à la subsistance des veuves et des enfants, s’ils n’ont pas de biens d’ailleurs. ARTICLE 3 DU TITRE II Ceux qui étant convaincus de crimes ou de délits qui n’auraient pas été prévus par le code pénal ou les lois postérieures, ou dont la punition ne serait pas déterminée par les lois et dont l’incivisme et la résidence sur le territoire de la République auraient été un sujet de trouble public et d’agitation, seront condamnés à la peine de déportation. |
Le Tribunal pouvait prononcer l'acquittement de la personne, son emprisonnement, sa déportation ou son exécution.
- TABLEAU RECAPITULATIF DES JUGEMENTS RENDUS PAR LE TRIBUNAL -
PERIODES | PEINES PRONONCEES | ||||
Acquittement | Emprisonnement | Déportation | Condamnation à mort | TOTAL | |
Avril 1793 | 16 | 0 | 0 | 9 | 25 |
Mai 1793 | 23 | 0 | 2 | 9 | 34 |
Juin 1793 | 33 | 0 | 3 | 15 | 51 |
Juillet 1793 | 47 | 3 | 1 | 14 | 65 |
Août 1793 | 36 | 1 | 1 | 5 | 43 |
Septembre 1793 | 42 | 6 | 6 | 22 | 76 |
Octobre 1793 | 17 | 12 | 1 | 18 | 48 |
Novembre 1793 | 91 | 6 | 2 | 67 | 166 |
Décembre 1793 | 101 | 5 | 0 | 61 | 167 |
Janvier 1794 | 106 | 8 | 12 | 68 | 194 |
Février 1794 | 79 | 1 | 5 | 116 | 201 |
Mars 1794 | 59 | 3 | 0 | 155 | 217 |
Avril 1794 | 45 | 8 | 3 | 65 | 121 |
Mai 1794 | 155 | 12 | 0 | 354 | 521 |
Juin 1794 | 164 | 0 | 0 | 509 | 673 |
Juillet 1794 | 292 | 0 | 0 | 1138 | 1430 |
TOTAL | 1306 | 65 | 36 | 2625 | 4032 |
Sources : "Actes du Tribunal révolutionnaire de Paris" commentés par G. Walter