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Marguerite Steinheil ou le procès d’une femme du monde

Publié le 14 mars 2019

Il y a un peu plus d’un siècle, dans le contexte encore brûlant de l’affaire Dreyfus, s’ouvre le procès très médiatisé de Marguerite Steinheil, une bourgeoise fantaisiste accusée de double assassinat. Une affaire à rebondissements qui mêle meurtre de sang-froid, liaisons secrètes et bijoux volés.

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Crédits : Source gallica.bnf.fr

Une bourgeoise au coeur de l’actualité

A peine vient-elle d’épouser un peintre raté que Marguerite Steinheil, née Japy en 1869, défraye la chronique. Celle qui accumule les conquêtes en invitant dans son salon les personnalités en vogue de l’époque a, en contrepartie, régulièrement sa place dans les journaux.

Au cours d’un évènement mondain, elle rencontre le Président de la République, Félix Faure, dont elle devient quelque temps la maîtresse. Mais le 16 février 1899, ce dernier meurt dans ses bras, ou, pour être plus précis, dans son lit.

Un double assassinat

Le 31 mai 1908, l’un des domestiques du couple Steinheil découvre les corps sans vie de madame Japy, la mère de Marguerite et de monsieur Steinheil. L’affaire provoque la stupeur du « grand monde ». Marguerite Steinheil, ligotée, raconte aux enquêteurs que trois personnes armées sont entrées chez elle pendant la nuit pour lui dérober sa fortune. La presse parisienne fait ses gros titres avec « Le crime de l’impasse Ronsin ». Mais rapidement, les enquêteurs réalisent que les accusations de Marguerite Steinheil ne coïncident pas avec les faits.

Plusieurs éléments à charge sont relevés par les enquêteurs : les liens trop lâches qui n’ont pas laissé de marques aux poignets de la victime, l’absence de trace d’effraction ou d’empreintes de pas, la tâche d’encre retrouvée près du corps de monsieur Steinheil et sur le genou de sa femme… Les bijoux déclarés volés sont retrouvés chez un bijoutier qui affirme que c’est madame Steinheil elle-même qui les lui a donnés en lui demandant de les faire fondre.

Les journaux sont catégoriques, la bourgeoise ment. A la question « Pourquoi vous ont-ils épargnée ? », elle répond énigmatiquement qu’ils l’ont prise pour une enfant, ce qui alimente encore les ragots.

Un procès surmédiatisé

Le 4 novembre 1908, Marguerite Steinheil est arrêtée sur ordre du juge Leydet et incarcérée pendant 300 jours à la prison Saint-Lazare. Ce même juge se récuse le 27 novembre en raison des relations qu’il a entretenues avec l’accusée ; un autre magistrat, monsieur André, est nommé à sa place.

Une foule de badauds et de journalistes se presse au procès de cette femme du monde. La presse fait ses choux gras de l’affaire, surnomme la prévenue, « la veuve rouge ». Le procès s’ouvre le 3 novembre 1909, à la cour d’assises de Paris, sous l’égide de M. de Vallès. Les avocats de la défense sont Maîtres Antony Aubin et Landowski. Marguerite Steinheil est accusée de complicité dans le double meurtre de son mari et de sa mère. Elle offre un spectacle haut en couleur : lorsqu’on lui pose une question à laquelle elle ne peut répondre, elle se met aussitôt à pleurer et va jusqu’à s’évanouir.

Le deuxième jour, un homme se présente à la barre et ajoute encore de la confusion aux propos de l'accusée. Il prétend être la « femme vulgaire » que Mme Steinheil a décrit comme l’un de ses agresseurs. Il n'était en fait qu'un piètre acteur engagé pour le procès.

Durant tout le procès, Marguerite Steinheil s’en tient à son rôle de victime éplorée. Elle ment, blâme à tout-va et s’accuse parfois pour se rétracter ensuite.

De l’avis du ministère public, elle aurait commis ces crimes pour épouser un riche industriel rencontré plus tôt. Cette version est corroborée par des témoins qui affirment que le couple allait mal. L’opposition anti-dreyfusarde l’accuse également d’avoir empoisonné 10 ans plus tôt, pour le compte du syndicat juif, le président Félix Faure. L’affaire devient éminemment politique. On parle de Marguerite Steinheil dans les plus hautes sphères de l’Etat. C’est un véritable procès d’anthologie dont parle toute la société française.

Enième rebondissement, le procureur de la République Trouard-Triolle va faire basculer l’opinion : il affirme que l’accusée a eu un complice mais ne peut le nommer. Les médias vont alors tenter d’en savoir plus. Ce qui passionne d’autant plus l’opinion, c’est que même la justice ne sait comment aborder le sort de la veuve Steinheil.

Une délibération controversée

Le 14 novembre 1909, la plaidoirie de la défense dure 7 heures d’affilée. Après une délibération de 2 heures 30, les jurés, craignant une sentence trop sévère, répondent « non ». Elle est donc acquittée, mais la controverse ne s’arrête pas pour autant. En France, personne n’est convaincu de son innocence et lorsqu’elle s’enfuit en Angleterre, loin des journalistes, un écrivain anglais publie une enquête dans laquelle il l’accuse du double meurtre. Grâce à ses relations, elle parvient à faire retirer le livre des ventes. Ses déboires avec la justice tombent peu à peu dans l’oubli. A l’âge de 85 ans, elle termine sa vie en lady et baronne fortunée, loin des tribunaux.

Sarah Ferry

M2/Institut Français de Presse