Typologie de contenus: La justice en France

Cinq grandes figures des XIXe et XXe siècles

Garde des Sceaux, avocats, magistrat : par leur engagement, leur révolte ou leur courage, ils ont contribué à transformer la justice et la société de leur temps ou refusé l’inacceptable.

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Jeanne Chauvin (1862 - 1926) : la première avocate à plaider en France

Brillante élève, Jeanne Chauvin obtient deux baccalauréats et deux licences, dont une licence de droit, en 1890. Deux ans plus tard, elle est la première française à soutenir un doctorat en droit, consacré à l’Étude historique des professions accessibles aux femmes.

Munie de tous les titres requis, elle se présente le 24 novembre 1897 à la Cour d’appel de Paris pour prêter le serment d’avocat. Sa demande est rejetée au motif que la profession est « un exercice viril ». Grâce au combat de Jeanne Chauvin et au soutien des députés Raymond Poincaré et René Viviani, la loi du 1er décembre 1900 permet aux femmes d’accéder au Barreau.

Jeanne Chauvin prête serment le 19 décembre 1900, quatorze jours après Olga Balachowsky-Petit, également docteure en droit. Elle est la première avocate française à plaider, le 21 janvier 1901. À partir de ce moment, les professions du droit commencent à devenir accessibles aux femmes ce qui suscite des réactions tantôt enthousiastes tantôt misogynes. Le 10 octobre 1946, Charlotte Béquignon-Lagarde est la première femme à accéder à la magistrature en France.

Paul Didier (1889-1961) : le juge qui a dit non à Pétain

Le 2 septembre 1941, le magistrat Paul Didier refuse de prêter serment de fidélité au maréchal Pétain, comme l’impose l’acte constitutionnel promulgué le mois précédent par le gouvernement de Vichy.

Sous-directeur du Sceau en 1937, il a été rétrogradé en septembre 1940 comme simple juge au tribunal de la Seine pour s’être opposé aux mesures xénophobes en préparation.

Révolté par l’obligation de prêter serment au maréchal Pétain et par la création, en août 1941, des sections spéciales chargées de juger communistes et anarchistes, Paul Didier est le seul magistrat à avoir le courage de manifester publiquement son opposition. Il est révoqué le surlendemain, puis envoyé au camp d’internement de Châteaubriant. Libéré en février 1942 en raison de son état de santé, il est assigné à résidence jusqu’à la fin de la guerre.

Pierre Masse (1879-1942), déporté sur ordre des Allemands

Docteur en droit, premier secrétaire de la Conférence des avocats en 1906, Pierre Masse est un éminent avocat. Ancien combattant décoré de la croix de guerre et de la Légion d’honneur, il est aussi député, sous-secrétaire d'État chargé de la justice militaire en 1917, puis sénateur, à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

En 1940, il défend l’auteur dramatique Henry Bernstein, diffamé en raison de ses origines juives. En octobre, la loi « portant statut des Juifs » est promulguée. Elle interdit notamment aux Juifs de poursuivre une carrière militaire. Pierre Masse demande alors par courrier au Maréchal Pétain s’il doit priver de leurs distinctions les anciens soldats de sa famille, blessés ou morts pour la France. En février 1941, il proteste vigoureusement quand on lui demande de préciser, en tant que parlementaire, s’il est d’ascendance juive.

Arrêté à son domicile par la police française sur ordre des Allemands le 21 août 1941, détenu à Drancy puis à Compiègne, il est déporté le 30 septembre 1942 à Auschwitz, où il meurt peu après.

Gisèle Halimi (1927-2020), avocate et militante féministe

Née en 1927 dans une famille modeste du quartier de La Goulette à Tunis, Gisèle Halimi éprouve très tôt la nécessité de conquérir sa liberté. Devenue avocate, elle poursuit ce combat qui contribuera faire avancer les droits des femmes.

Dans les années 1950 et 1960, elle défend les indépendantistes tunisiens et algériens, notamment Djamila Boupacha, militante du FLN torturée et violée en détention. En 1971, elle est la seule avocate à signer le Manifeste des 343 femmes qui déclarent avoir avorté et réclament le libre accès à l'avortement, alors interdit en France.

Lors du procès de Bobigny en 1972, Gisèle Halimi refuse de plaider les circonstances atténuantes pour sa cliente, Marie-Claire Chevalier, une jeune fille de seize ans qui a avorté après un viol. Elle choisit de faire le procès de la loi liberticide sur l'avortement : sa cliente est acquittée. Le procès de Bobigny est une étape majeure en matière de droit à l’avortement. La loi relative à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), portée par Simone Veil, est promulguée le 17 janvier 1975.

En 1978, Gisèle Halimi défend également deux femmes victimes d’un viol collectif. Le procès, qui a lieu à Aix-en-Provence, marque aussi le droit de son empreinte. En effet, il annonce la loi de 1980 qui redéfinit et criminalise le viol.

Robert Badinter : l’abolition de la peine de mort en France ou le combat d’une vie

Deux procès ont une importance majeure dans le combat mené par Robert Badinter pour l’abolition de la peine de mort en France : l’affaire Buffet – Bontems (1972) et l’affaire Patrick Henry (1977). 

Dans le premier cas, Philippe Lemaire et Robert Badinter, les avocats de Roger Bontems, parviennent à démontrer que celui-ci n’a pas donné la mort. La cour d’assises le reconnaît mais condamne quand même Bontems à la peine capitale pour complicité avec Buffet. Roger Bontems est guillotiné à la prison de la Santé, le 28 novembre 1972.

Cet échec de la défense agit comme un déclencheur dans le combat de Robert Badinter pour l’abolition.

Dans la deuxième affaire, la culpabilité de Patrick Henry ne fait pas de doute. Robert Badinter choisit alors de mettre les jurés face à leur responsabilité. Bientôt, la peine capitale sera abolie et ils devront affronter le poids de leur conscience. L’affaire Patrick Henry devient le procès de la peine de mort.

La situation résonne de façon particulière pour l’avocat. Comme dans l’affaire Bontems, le procès se déroule à Troyes, dans la même cour d’assises, avec le même avocat général.

Robert Badinter sauve la tête de l’accusé et obtient la réclusion à perpétuité. Le verdict soulève colère et indignation dans l’opinion publique.

« Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises... », déclare Robert Badinter devant l'Assemblée nationale. En effet, Robert Badinter devenu garde des Sceaux présente son projet de loi portant abolition de la peine de mort en France devant l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981. Le combat d’une vie touche à sa fin puisque la loi sera promulguée le 9 octobre 1981. Par la suite, Robert Badinter a milité pour l’abolition universelle.