[Archives] "La Justice face à la délinquance des mineurs"

Publié le 04 juillet 2002

Intervention de Dominique PERBEN en ouverture du Colloque de la Conférence des Bâtonniers à la Maison de la Chimie

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17 minutes

Monsieur le Président de la Conférence des Bâtonniers,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Maires,
Mesdames, Messieurs,

Je tiens tout d'abord à vous remercier, Monsieur le Président, pour votre invitation : je suis très heureux de venir ici à la rencontre de la Conférence des Bâtonniers.

Le thème du colloque que vous organisez aujourd'hui en témoigne.

La Conférence des Bâtonniers a démontré son aptitude à se saisir de sujets majeurs, de portée générale, comme la réforme de la justice ou plus spécifiques à votre profession, comme le secret professionnel.

Je tiens à saluer l'initiative que vous avez prise de traiter aujourd'hui un thème essentiel, au coeur du débat public, au coeur des interrogations de nos concitoyens sur notre société et au coeur de leurs attentes légitimes envers la justice. La diversité, la qualité et la quantité de l'assistance, indique aussi que c'est un thème qui passionne tous ceux qui, à un titre ou à un autre, ont à le traiter.

C'est aussi, je tiens à le dire, un débat éminemment politique, au sens où Hannah Harendt définissait la politique, comme "ce qui relie les hommes, dans la liberté et dans la nécessité".

Il est particulièrement bienvenu d'ouvrir aujourd'hui ce débat, comme vous le faites , en partant de la réalité du terrain, en dressant l'état des lieux, sociologique et juridique, avant d'en arriver au coeur du sujet : celui de la réponse judiciaire à la délinquance des mineurs, dans ses modalités pratiques, jusqu'à l'exécution des peines.

Oui, l'architecture de cette journée, les intervenants que vous avez choisis pour éclairer vos travaux, augurent d'un débat serein et utile ; utile pour tous les participants, je n'en doute pas, qui auront à coeur de faire partager leurs expériences; et particulièrement utile pour moi qui tirerait un grand profit de vos conclusions.

Je vous remercie en effet de me donner la première occasion de m'exprimer sur ce thème depuis ma prise de fonctions dans le cadre d'une manifestation publique réunissant des parlementaires, des maires, des élus locaux, des magistrats, des avocats, des éducateurs, des représentants des forces de sécurité, des services sociaux, des associations, des médecins, bref de la société civile dans sa diversité.

Cette occasion qui m'est donnée de vous associer à mes réflexions et à mes propositions est particulièrement importante pour moi, avant que débutent les travaux du Parlement, dans le cadre de la session extraordinaire qui vient de s'ouvrir, dont je vais vous reparler dans un instant .

Vous le savez, Monsieur le Président, j'ai lancé, depuis six semaines, d'intenses consultations avec les professionnels, les organisations syndicales et les professions judiciaires. J'ai tenu, dès mon arrivée à aller à leur rencontre, sur le terrain, en visitant des tribunaux, des établissements pénitentiaires, des foyers de la protection judiciaire de la jeunesse.

Ces consultations, ces échanges d'expériences, qui se poursuivent naturellement, ont nourri ma réflexion. Elles ont directement inspiré les propositions que j'ai faites au Premier ministre et l'avant-projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice qui sera prochainement examiné par le conseil des ministres.

Je tiens d'ailleurs, Monsieur le Président, à vous apporter tout de suite une précision à propos de ce texte, et, si vous me le permettez, de m'éloigner un instant du sujet de ce colloque, mais vous-même m'y avez incité en faisant part des interrogations suscitées par certains propos récents au sujet des modifications qui pourraient être apportées dans le cadre des projets de loi d'orientation et de programmation relatifs à la sécurité et à la justice, à la loi du 15 juin 2000.

Je peux, Monsieur le Président, vous rassurer d'emblée. Il n'est évidemment pas question de toucher à tout ce qui forme le coeur du dispositif de cette loi et qui protège les libertés fondamentales : je pense en particulier à la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue, au juge des libertés et de la détention, et plus généralement aux droits qui sont accordés à la personne gardée à vue.

Il a simplement été question d'ajustements techniques, à la marge, destinés à résoudre des difficultés pratiques qui ont pu surgir dans l'application de cette loi.

Je vais vous donner un exemple. Lorsque le Parquet fait appel d'une décision d'un juge des libertés et de la détention ou d'un juge d'instruction remettant une personne mise en cause en liberté, actuellement, cette personne peut disparaître. Or, si la Chambre d'instruction donne raison au Parquet, il faut commencer une nouvelle recherche. C'est pourquoi, je vais proposer la création d'un référé détention de très courte durée, entre les mains du Président de la Chambre d'instruction. Cette nouvelle mesure permettra de conserver la personne mise en cause sous main de Justice pendant un très bref délai, en attendant que la Chambre d'instruction ait statué sur l'appel du Parquet.

Mais je reviens au thème de votre colloque et de mon propos, pour rendre hommage aux travaux remarquables de la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs, présidée par M. Schosteck et dont le rapporteur est M. Carle, qui vient de rendre son rapport hier. Les constats sans concession des sénateurs rejoignent les nôtres : la saturation des juridictions, le Adéraillement de la chaîne pénale A, l'insuffisante coordination des départements et de l'Etat sont en effet autant de difficultés auxquelles nous devons, ensemble, apporter des réponses.

Sans vouloir préjuger du déroulement de vos travaux, je tiens d'emblée à marquer la fécondité des pistes de solutions tracées par la commission d'enquête du Sénat: accélérer certaines procédures, renforcer le caractère éducatif de la réponse pénale, mieux impliquer les parquets dans l'orientation des procédures devant le juge des enfants ou le tribunal pour enfants sont autant d'évolutions qui pourront déboucher dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation pour la justice. J'avais d'ailleurs rencontré ses principaux rédacteurs et nous en avons tenu compte dans la rédaction de notre projet.

L'attente des Français n'a jamais été aussi forte en matière de sécurité et de justice. Le débat électoral de ces derniers mois l'a amplement montré. Ce rendez-vous de la démocratie et de la République avec elles-mêmes a rappelé, à tous les responsables politiques, dont je suis, l'ampleur de leurs devoirs : oui, il est de notre responsabilité à tous, d'apporter des réponses convaincantes à ces attentes.

C'est l'engagement du Président de la République devant tous les Français. C'est l'engagement du Gouvernement, que le Premier ministre vient de rappeler au Parlement dans sa déclaration de politique générale. C'est mon engagement, en tant que Ministre de la Justice.

Certes, l'histoire enseigne que la violence des jeunes est un phénomène ancien, voire très ancien, déjà déploré par Platon.

Cela ne nous autorise pas à minimiser les évolutions récentes des violences constatées par les différentes enquêtes, ni la souffrance des victimes, ni la montée de l'insécurité.

L'évolution préoccupante de la délinquance des mineurs ces dernières années a été particulièrement ressentie par nos compatriotes comme un défi porté à la cohésion nationale et aux valeurs mêmes qui fondent notre pacte social.

Vous reviendrez dans la matinée sur le constat. Toutes les études montrent que, depuis plusieurs années, la délinquance des mineurs s'accroît, se durcit et se rajeunit.

La délinquance des mineurs, mesurée par le nombre de mineurs mis en cause par les services de police et de gendarmerie a augmenté de 13,5% entre 1997 et 2001, passant de 154 000 à 177 000, et représentant 21% du total des mis en cause au lieu de 13% il y a 10 ans. Les vols avec violence ont augmenté de plus de 16 %, les atteintes aux personnes de près de 40 % et les agressions sexuelles de plus de 18 %.

Encore n'est-ce là qu'une mesure de l'ampleur du phénomène. Les rares enquêtes de délinquance auto-rapportée confirment l'augmentation de la violence des jeunes dans notre société, dont attestent également les études portant sur les victimes.

Cette tendance globale très nette à l'augmentation s'accompagne d'un rajeunissement des auteurs d'actes délinquants et, en particulier, de l'implication de mineurs de moins de 13 ans dans des délits graves. Les statistiques des Ministères de l'Intérieur et de la Justice montrent également une aggravation de la nature des crimes et des délits effectués par les mineurs. En particulier, les agressions contre les personnes, les infractions en rapport avec la toxicomanie, ainsi que les destructions et dégradations, connaissent une augmentation sensible ces dernières années.

Certes, la Justice n'est pas la seule institution interpellée par ce phénomène. Il est toutefois de sa responsabilité sociale d'y apporter des réponses.

A Garges-les-Gonesse, le 19 février dernier, le Président de la République a marqué combien, pour donner un coup d'arrêt à cette évolution, la tâche sera lourde, et combien il faudra renforcer l'ensemble des maillons d'une chaîne qui associe la famille d'abord, qui doit être mieux aidée à assumer sa fonction éducative ; les associations ensuite, qui jouent un rôle essentiel dans l'accompagnement social des familles et la prévention de la délinquance ; les communes et les départements également, car l'action éducative et sociale de proximité doit être encouragée et renforcée ; l'école, aussi, bien sûr, qui doit pouvoir assumer sa mission de transmission des savoirs et des valeurs et sa mission d'intégration républicaine.

Au sein du gouvernement, mes collègues Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l'Education Nationale et de la Recherche, ainsi que Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire, sont déterminés à agir massivement, avec les équipes pédagogiques, en faveur de la prévention de la violence.

Nous savons tous ici que nous sommes confrontés à un phénomène très complexe et multiforme auquel nul ne peut prétendre apporter une solution unique

Il reste que la Justice, qui est de ma responsabilité en tant que Garde des sceaux, mais aussi de la vôtre, de vous tous ici qui vous dévouez, avec courage et compétence, dans des conditions souvent difficiles au service de l'institution judiciaire, la Justice, dis-je, doit apporter des réponses efficaces à la délinquance des mineurs.

La demande sociale principale qui nous est adressée est claire. Ce que veulent les Français, c'est que les mineurs multirécidivistes dangereux soient écartés des quartiers où ils sévissent.

Nous devons aussi, naturellement, répondre à l'exigence d'éducation de ces jeunes pour ne pas les laisser glisser dans une spirale qui, tôt ou tard, les conduit comme on l'observe aujourd'hui, à devenir des majeurs délinquants finissant en prison.

Or, quels que soient la passion, le dévouement, les compétences des personnes qui sont en première ligne pour les faire fonctionner, force est de constater que nos dispositifs actuels ne nous permettent pas d'apporter des réponses suffisantes et satisfaisantes à cette situation.

En effet, hormis quelques cas exceptionnels comme les crimes, il n'y a pas de détention provisoire possible pour les mineurs de 13 à 16 ans. Pour les mineurs de 16 à 18 ans, elle est possible mais les juges, sachant les conditions très difficilement acceptables dans lesquelles elle s'effectue, font preuve d'une réserve bien compréhensible.

Sous réserve de l'excuse de minorité, des peines de prison sont certes prononcées. Elles sont même en augmentation sensible depuis la fin de l'année dernière. Elles concernent actuellement 850 mineurs. Mais, là encore, la situation actuelle des quartiers mineurs des prisons est telle que ces décisions posent un problème évident.

Il faut ajouter que l'intervention tardive du juge et les délais sont tels que, ni l'environnement, ni les jeunes eux-mêmes, ne perçoivent aisément le rapprochement entre les faits commis et la peine.

Pour mettre en oeuvre les engagements du Président de la République et répondre aux légitimes exigences de nos concitoyens, il faut en effet élargir la gamme des réponses judiciaires à la délinquance des mineurs.

C'est pourquoi je propose un ensemble de solutions, qui repose sur un dispositif pré-sentenciel pour les jeunes prévenus et sur un dispositif portant sur l'exécution des peines pour les condamnés.

Je tiens à affirmer clairement ici, pour dissiper toute incompréhension, que l'ordonnance du 2 février 1945, repose sur des principes fondateurs qu'il n'est pas question de remettre en cause : je pense naturellement à la primauté de l'action éducative, à la spécialisation des juridictions, à la gradation de la responsabilité du mineur en fonction de son âge .

Cela dit, je suis convaincu que ce texte fondamental, mais vivant et évolutif, qui a déjà été modifié à 33 reprises -dont 21 fois au fond- depuis son entrée en vigueur, doit aujourd'hui être adapté aux enjeux contemporains de la délinquance des mineurs.

En matière pré-sentencielle, la détention provisoire doit rester possible pour les mineurs de 16 à 18 ans et devenir possible pour les mineurs de 13 à 16 ans. Mais, j'y insiste tout particulièrement, elle ne doit pas être prononcée directement.

Elle n'interviendra, pour les mineurs de 13 à 16 ans, que comme la sanction, sous forme de révocation, d'une mesure de contrôle judiciaire. Cette mesure consiste à placer le jeune dans un "centre éducatif fermé".

Avant de préciser ce qu'est un centre éducatif fermé, laissez-moi vous expliquer ce qu'il n'est pas. Ce n'est pas un établissement pénitentiaire. Ainsi les éducateurs qui y encadreront les jeunes n'auront pas un rôle de "gardiennage". Ce n'est pas non plus un nouvel avatar des "maisons de correction" de jadis.

C'est un centre de très petite taille, destiné à accueillir 6 à 10 jeunes seulement, qui seront donc très encadrés et suivront, au sein de ce centre, un programme à très fort contenu éducatif dirigé vers leur réinsertion.

Ce programme pourra, le cas échéant, comporter des activités -sportives ou de formation- suivies à l'extérieur du centre, dûment autorisées par l'équipe éducative. J'y insiste, la vocation éducative de ces centres sera essentielle. Il faudra clarifier le contenu éducatif des programmes suivis par les jeunes en matière d'enseignement et de formation professionnelle. Au cas où les éducateurs constatent que les règles du jeu fixées au sein de ces centres n'ont pas été respectées, le jeune concerné sera déféré devant un juge, lequel pourra prononcer une révocation du contrôle judiciaire, qui entraînera le placement du jeune en détention provisoire.

Ainsi, au moment du placement sous contrôle judiciaire, les mineurs concernés seront avisés par le magistrat que s'ils ne respectent pas les conditions du placement, ils risqueront d'être incarcérés. Il s'agit là de prévenir les fugues qui sont fréquemment l'occasion de commettre de nouvelles infractions. En d'autres termes, de concilier l'éducation et l'ordre public car il s'agit de mineurs délinquants. Je crois donc que la contrainte juridique, peut sous le contrôle du juge, être une réponse utile.

La détention provisoire s'effectuera dans des centres de détention pour mineurs créés à l'extérieur des établissements accueillant des majeurs. C'est la deuxième grande innovation que je propose et à laquelle je compte me consacrer avec beaucoup d'énergie. Cette fois, il s'agit bien d'établissements pénitentiaires, où la surveillance sera exercée par le personnel de l'administration pénitentiaire.

Mais, j'ajoute que la vocation éducative de ces centres sera tout aussi essentielle que celle des centres éducatifs fermés et que le programme y sera de même niveau et comportera à cette égard les mêmes exigences.

En matière de peines, c'est un dispositif comparable que je propose de mettre en place. En dehors des cas graves, les tribunaux pour enfants seront incités à prononcer non pas des peines de prison fermes, comme ils le font aujourd'hui, mais des peines de prison assorties d'un sursis avec mise à l'épreuve.

Le sursis avec mise à l'épreuve comportera une obligation de respect des mêmes conditions qu'un placement en centre éducatif fermé.

Le non respect des règles du jeu au sein des centres éducatifs fermés sera sanctionné par une révocation prononcée par le juge qui pourra entraîner une incarcération dans des centres de détention pour mineurs.

Quant aux quartiers mineurs des prisons, ils ne disparaîtront pas complètement.

Dans un premier temps, ils seront mêmes développés car la construction des établissements pénitentiaires pour mineurs prendra du temps, même si nous sommes déterminés avec mon collègue, Pierre BEDIER, Secrétaire d'Etat aux Progammes Immobiliers, qu'elle intervienne dans les meilleurs délais.

Comme l'a marqué hier le Premier Ministre, dans la déclaration de politique générale qu'il a soumise au Parlement au nom du Gouvernement, les réponses que nous devons apporter à la délinquance doivent être fermes mais humaines, dans le souci constant qui est le nôtre du profond respect dû à la personne humaine.

C'est pourquoi il faut, en particulier, isoler les mineurs qui sont actuellement incarcérés des majeurs et améliorer sensiblement les conditions d'incarcération qu'ils connaissent aujourd'hui, en développant en particulier l'effort éducatif qui doit être mené dans ces quartiers pour mineurs, afin qu'il atteigne le même niveau que dans les centres éducatifs.

Dans un deuxième temps, ces quartiers mineurs rénovés demeureront mais deviendront marginaux et réservés aux mineurs les plus âgés et très dangereux, dont les risques d'évasion sont tels qu'il vaut mieux les placer dans des établissements très sécurisés.

Pour améliorer l'efficacité de la justice des mineurs, il est essentiel de réduire les délais de traitement des affaires par les juridictions spécialisées en améliorant leurs conditions de fonctionnement

Il faut aussi améliorer l'effectivité de la réponse pénale et éducative en réduisant les délais de prise en charge des décisions prises par les juridictions des mineurs.

Améliorer l'efficacité du traitement de la délinquance des mineurs, c'est aussi mieux juger les mineurs de 10 à 13 ans.

Si le principe de ne pas infliger de peines à des moins de 13 ans sera conservé, il est en revanche nécessaire de prononcer à partir de 10 ans de sanctions éducatives telles que l'obligation d'accomplir un stage de formation civique, la confiscation du bien à l'origine de l'affaire ou l'interdiction de paraître en certains lieux, l'aide ou la réparation.

Pour améliorer l'efficacité des enquêtes concernant les mineurs appartenant à cette tranche d'âge les conditions dans lesquelles la retenue peut être ordonnée seront légèrement élargies.

Une justice efficace, peut aussi être plus rapide : il faut juger plus rapidement les mineurs réitérants.

La rapidité de la décision de justice après une infraction a une vertu éducative. Je crois que chacun le reconnaît aujourd'hui. Il ne s'agit pas de créer une comparution immédiate qui, je le sais, n'est pas adaptée. Il faut ainsi accélérer les procédures de jugement des mineurs délinquants déjà connus du tribunal pour enfants, ceux pour lesquels il existe déjà un dossier de personnalité et pour lesquels des mesures éducatives sont en cours ou ont été prononcées par le passé, et qui ont commis des actes qui ne nécessitent aucune investigation particulière.

Dans cette hypothèse, le jugement pourra intervenir dans un délai de dix jours à un mois. Dans l'attente du jugement, une mesure provisoire sera requise par le parquet auprès du juge des enfants. Les mineurs de 13 à 16 ans ne pourront faire l'objet que d'un contrôle judiciaire.

Le juge de proximité participera également au traitement plus rapide de la délinquance des mineurs, dans le respect du principe de spécialisation fixé par l'Ordonnance du 2 Février 1945. Les juges de proximité spécialisés seront des personnes particulièrement qui se seront particulièrement signalées pour leur intérêt et leurs compétences pour les questions relatives à l'enfance.

La justice des mineurs présente en effet déjà la particularité d'associer des non professionnels au jugement des mineurs selon un système ancien et éprouvé, celui des assesseurs.

Le nouveau dispositif du juge de proximité sera donc étendu aux mineurs et l'ordonnance du 2 février 1945 sera modifiée en conséquence. Les juges de proximité seront compétents pour juger les contraventions et certains délits commis par les mineurs de 13 à 18 ans. Ils ne pourront en aucun cas prononcer de sanctions pénales mais uniquement des mesures éducatives, de réparation, d'admonestation, de remise aux parents. Ces mesures de traitement de la délinquance seront rendues plus solennelles par le passage devant un juge.

Il faut enfin développer la prévention et la réinsertion.

La prévention de la délinquance est une mission essentielle de la justice des mineurs.

Deux aspects de la prévention me tiennent particulièrement à coeur:

La protection des mineurs contre l'influence du spectacle de la violence

Je suis particulièrement frappé par le spectacle de la violence auxquels les mineurs sont exposés au travers des différents supports de communication (télévision, cinéma, cassettes video, jeux video, internet ). Dans le récit que font certains mineurs d'actes de violences particulièrement graves qu'ils commettent, la référence explicite à des scènes vues et banalisées est troublante. Nous devons nous interroger sur leur influence sur le passage à l'acte délinquant.

J'ai donc demandé à Mme Brisset, Défenseure des enfants de bien vouloir me rendre un avis complet sur cette question et de me faire des propositions d'ici à la fin de l'année 2002. Cette démarche que j'ai entreprise au nom de la Justice rejoint celle de mon collègue, Jean-Jacques Aillagon, Ministre de la Culture et de la Communication, qui a confié comme vous le savez une mission de réflexion sur la télévision à Mme Blandine Kriegel.

La prévention et la réponse donnée à l'acte de délinquance

La mesure de réparation est une mesure bien adaptée pour certains actes de délinquance, comme les atteintes aux biens, les dégradations, les actes de primo-délinquance : elle peut permettre de prendre conscience de la portée de leurs actes et de leurs conséquences pour les victimes. Elle implique aussi la société -et cela est positif- dans les réponses à apporter au phénomène de la délinquance juvénile en accueillant ces mineurs dans les dispositifs des municipalités, des pompiers, des sociétés d'HLM....

12 000 mesures ont été prononcées en 2000 par les magistrats du parquet et du siège alors que les premiers ont pris au total 42 680 mesures dans le cadre des alternatives aux poursuites et les seconds 85 576. Elle doit encore être développée, notamment à partir du constat selon lequel elle est inégalement répartie sur le territoire. Une politique plus volontariste devra être conduite à cet égard dans le cadre d'une action publique plus visible.

Les classes relais, dont j'ai beaucoup parlé avec Luc Ferry, forment un dispositif original développé dans le cadre de l'éducation nationale depuis plusieurs années. Elles fonctionnent sur les principes suivants : un petit nombre d'élèves (6 à 8) qui posent des problèmes de comportement en classe ou qui n'y vont plus, l'animation par un enseignant et un éducateur reposant sur une pédagogie et des média adaptés, un temps de prise en charge ne dépassant pas une année scolaire. 250 classes fonctionnent aujourd'hui. Il faudra en développer bien davantage.

La participation de la protection judiciaire de la jeunesse au programme des classes-relais doit être accentuée car elles ont prouvé leur efficacité puisque 73% des mineurs accueillis ont retrouvé un parcours scolaire ou de formation.

Il faut souligner l'importance de ces programmes qui tendent à lutter contre une violence qui résulte souvent de l'impossibilité à dire et à être. Les jeunes interrogés dans les enquêtes mettent souvent en avant le déni de parole alors comme le dit fort justement Eric Debarbieux en des termes que n'aurait pas reniés Heidegger, "le langage est la maison de l'être". C'est par l'éducation que les jeunes peuvent s'affirmer, témoigner de leur propre existence et construire leur propre parcours ce que personne ne peut faire à leur place.

Je tiens d'ailleurs à préciser que la prise en charge éducative, dans les centres et les établissements que j'ai présentés, sera élaborée dans le cadre d'un programme établi à l'issue d'une large concertation avec tous les élus, les responsables et les professionnels de la Protection judiciaire de la jeunesse, les associations et les ministères concernés.

Le projet de loi d'orientation et de programmation devra nous donner les moyens et offrir un cadre suffisamment large et souple pour nous permettre d'explorer, toujours de la façon la plus pragmatique qui sied à la matière humaine avec laquelle nous travaillons, plusieurs pistes de solutions qui pourront être testées sur le terrain.

J'insiste ici très sincèrement sur l'ouverture qui sera la mienne à toutes les suggestions que vous pourrez proposer. Je suis intimement convaincu que c'est par le dialogue que nous assurerons le succès, c'est-à-dire que nous réussirons dans notre mission d'éducation et de réinsertion.

C'est dans cet esprit que des outils d'évaluation de l'action éducative et de suivi des parcours des jeunes devront être mis au point, afin d'assurer l'efficacité de ces programmes.

Telles sont les grandes lignes de l'action d'ensemble que j'entends conduire, en partenariat avec tous les intervenants concernés, pour apporter un ensemble de réponses judiciaires plus efficaces à la délinquance des mineurs.

Tels sont, en ce qui concerne la délinquance des mineurs, les objectifs du projet de loi d'orientation et de programmation que je présenterai le 17 juillet prochain au conseil des ministres : il s'agit, certes, de donner à la justice des moyens pour qu'elle fonctionne mieux.

Il s'agit aussi, vous en êtes conscients, de rénover le cadre juridique du traitement de la délinquance des mineurs, une délinquance, faut-il le rappeler, dont les mineurs, qui sont la jeunesse, l'avenir de notre société, sont les premières victimes. Et je pense souvent à ce véritable gâchis humain que représente la délinquance.

Il y a urgence à agir, ensemble, avec humanité, détermination et volonté. Il y va de la cohésion sociale, de l'adhésion aux valeurs de la République que nous partageons et voulons faire vivre. Il n'est pas de plus grand, ni, me semble-t-il, de plus beau défi pour l'action politique.

Je l'ai dit, je ne tenais qu'à ouvrir aujourd'hui un débat, auquel je ne doute pas que votre colloque apportera une contribution décisive.

Je dois vous quitter aussitôt après cette séance d'ouverture pour me rendre en Belgique, où je dois visiter une structure d'accueil des jeunes délinquants, comme je le ferai lundi prochain au Royaume Uni, précisément pour prendre connaissance d'expériences novatrices menées dans ces pays. Et j'espère que nous pourrons en tirer des leçons.

Je dois donc vous quitter, mais certains de mes collaborateurs continuent à assister à vos travaux. Je me tiendrai très étroitement informé de vos conclusions.

Je vous remercie.