[Archives] Assises de l'Institut National d'Aide aux Victimes et Médiation

Publié le 13 juin 2002

Intervention du Garde des Sceaux

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9 minutes

Monsieur le Député Maire,
Monsieur le Procureur Général,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,

C'est avec un très grand plaisir que j'ai accepté votre invitation, Monsieur le Président, de participer à ces XVIIIèmes assises nationales des associations d'aide aux victimes.

Mes remerciements s'adressent tout particulièrement à l'Association d'Aide aux Victimes et d'Information sur les Problèmes Pénaux (AVIPP). Outre la lourde charge d'organiser ces deux journées de rencontres, cette Association mène depuis vingt ans, en Seine-Maritime, une action d'envergure en faveur des victimes d'infractions pénales, une action à laquelle je veux rendre un hommage tout particulier.

Je tiens aussi à souhaiter la bienvenue à Monsieur le Président de la Cour Populaire de Hanoi et aux membres de la délégation du Ministère de la Justice vietnamien qui sont présents dans la salle à l'occasion du jumelage avec la cour d'appel de Rouen.

Je m'exprime ici, pour la toute première fois, en qualité de Garde des Sceaux, dans un colloque public.

C'est pour manifester l'importance que j'attache, avec ce gouvernement, au sort des victimes.

Je veux aussi saluer le dévouement et la disponibilité de toutes les associations qui oeuvrent en leur faveur et de l'INAVEM qui fédère la plupart d'entre elles.

Au-delà de leur indemnisation financière, les victimes savent qu'elles peuvent, grâce à votre action, trouver une écoute attentive, une prise en compte de leurs peurs et de leurs souffrances, un soutien psychologique, une information sur leurs droits.

Elles ont, en effet, bien besoin d'être guidées dans un moment où le traumatisme qu'elles ont subi rend si nécessaire un accompagnement.

L'INAVEM (l'Institut National d'Aide aux Victimes et de Médiation), assure en tant que partenaire privilégié du Ministère de la Justice des services essentiels de formation et d'assistance technique du réseau associatif.

Le choix de consacrer vos Assises aux accidents collectifs, est particulièrement judicieux, tant ces phénomènes ont pris une place essentielle dans l'activité de vos associations.

Furiani, le Mont Sainte Odile, les thermes de Barbotan, le tunnel du Mont Blanc, l'avalanche des Ores, le Naufrage de Banyoles, Pourtales, l'explosion de l'usine AZF de Toulouse : la liste est bien longue.

Ces catastrophes ont jalonné tristement l'actualité, coûté la vie à tant de personnes, blessé tant d'autres, meurtri à jamais des familles et laissé dans la gêne ou la précarité des foyers entiers.

Je veux rendre un hommage appuyé aux associations ici présentes, et à tous ceux qui ont mobilisé leurs énergies en faveur des victimes. Celles-ci, il faut bien le dire, ne sont peut-être plus tout à fait les "oubliées des prétoires ". Mais il est clair qu'elles n'ont pas toujours trouvé, pour autant, de la part de l'Etat, et de la Justice en particulier, les réponses adaptées qu'elles sont en droit d'attendre, aux drames tout à fait exceptionnels qu'elles ont vécus.

Si l'action de l'INAVEM a été, je dois le dire, tout à fait exemplaire, il reste, à l'évidence, encore beaucoup à faire pour améliorer la prise en charge des victimes, coordonner et rationaliser les circuits et établir, en un mot, un véritable plan d'action au niveau national, dans ces situations d'urgence.

Il faut reconnaître que la Justice, dans son mode de fonctionnement traditionnel et par les procédures essentiellement individuelles qu'elle met en œuvre, est bien mal armée, aujourd'hui, pour apporter des réponses adaptées à ces accidents collectifs qui ont meurtri tant de personnes dans leur chair et dans leur vie.

A Toulouse, 30 morts, 80.000 victimes ont été frappées directement.

Cette catastrophe, par son ampleur, a aussi touché des centaines de milliers de personnes de l'agglomération et, au-delà, des millions de Français. Nos concitoyens ont pris conscience de leur vulnérabilité face aux risques d'accidents collectifs. Nous nous rendons tous compte aujourd'hui que nous vivons désormais, selon l'expression d'Ulrich Beck, dans " une société du risque ".

Certes, les juridictions, les représentants de l'Etat, les administrations, les collectivités locales, les barreaux, les associations et les assureurs se sont regroupés pour agir ensemble pour les victimes.

Dès 1996, la Chancellerie constituait un groupe de travail rassemblant des magistrats, des avocats et des représentants des associations de victimes pour proposer des solutions adaptées à ces situations si spécifiques que Maître Claude LIENHARD, Directeur du Centre Européen de Recherches sur le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes, a magistralement décrites.

Un dispositif de suivi a été mis en place. Une circulaire a été diffusée aux juridictions, mais elle est sans doute trop restrictive dans son champ d'application. En concertation avec les associations, j'ai l'intention de revoir cette circulaire.

Vous savez qu'en toute hypothèse, l'indemnisation est déconnectée de la recherche de responsabilités.

Lorsqu'un accident collectif se produit, le schéma actuel est le suivant.

Un comité de pilotage est mis en place, animé soit par les chefs de juridictions (c'est le cas à Pourtales), soit par les services du Ministère de la Justice, en lien étroit avec les autorités locales. Cette dernière solution est opérationnelle à Toulouse. C'est aussi le dispositif retenu pour Banyoles. J'ai demandé à mes services d'être extrêmement attentifs à la préparation du procès qui doit avoir lieu en septembre prochain à Gérone, en Espagne.

Outre les différents intervenants que j'énumérais il y a un instant, la présence des associations de victimes au sein du comité de suivi est particulièrement légitime et nécessaire. On ne peut les laisser en dehors de la négociation et de la validation des indemnisations.

Ce Comité de Pilotage est investi de trois missions :

  • accompagner les victimes en leur offrant un soutien psychologique et en facilitant leur besoin d'expression ;
  • leur assurer une information sur les dispositions prises en leur faveur ;
  • veiller à leur juste et rapide indemnisation, quelle que soit la nature de leur préjudice, particulièrement pour les victimes les plus démunies.

Le temps est maintenant venu de passer à une nouvelle phase.

Il faut mettre en oeuvre des schémas types d'intervention. Je propose que ces " modèles " fassent l'objet d'une circulaire interministérielle. Je propose également la diffusion d'un guide méthodologique à l'image de celui qui avait été élaboré à la suite des attentats de 1995.

Mais je souhaite aller plus loin dans le cadre d'un programme quinquennal d'actions que je propose en faveur des victimes.

J'ai décidé de mettre en place une cellule d'alerte centrale. Le fonctionnement de cette cellule devra être déterminé avec l'ensemble des ministères concernés. En fonction de la nature de l'événement et de son importance, elle sera à même de mobiliser immédiatement les interlocuteurs adéquats des services de l'Etat, des instances locales et des associations. Son rôle m'apparaît particulièrement nécessaire lorsque la catastrophe dépasse nos frontières et implique l'engagement et le suivi de relations internationales. Je pense particulièrement ici aux difficultés qu'ont rencontrées les victimes de l'accident de Banyoles.

J'ai décidé de proposer, dans le cadre des discussions budgétaires, la création d'un fonds d'intervention mobilisable en urgence en cas d'accident collectif. Seule une réserve financière rapidement disponible en cas de circonstance exceptionnelle peut apporter les moyens supplémentaires immédiats à l'association d'aide aux victimes locale compétente, par exemple en recrutant un psychologue supplémentaire, ou en prenant en charge des frais spécifiques.

C'est un programme d'ensemble que je propose en faveur des victimes.

J'en ai annoncé le principe il y a quelques jours, en conseil des ministres, en présentant les grandes lignes du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice qui sera débattu le mois prochain au Parlement.

Ce programme dessine une nouvelle politique en faveur des victimes pour les cinq ans à venir.

Bien entendu, l'ensemble de ces mesures ne seront arrêtées qu'au terme d'une concertation interministérielle approfondie et après une consultation de l'ensemble des intervenants.

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Certes, l'Etat a pris des initiatives en faveur des victimes au fil des ans.

Mais, le sentiment justifié d'une situation globalement insatisfaisante est vivace.

L'insécurité et la violence n'entraînent pas seulement un trouble à l'ordre public qui porte atteinte à la cohésion sociale, elles provoquent d'innombrables souffrances individuelles qui appellent, de la part de la Justice en particulier, une réponse efficace, juste et rapide.

L'institution judiciaire doit aujourd'hui replacer la victime au centre de ses préoccupations.

I - Elle doit le faire d'abord en mettant fin à cette anomalie choquante, qui consiste à réserver à la victime un traitement moins favorable, au cours des procédures, qu'au prévenu.

Ainsi, un avocat d'office est proposé dès la première heure de la garde à vue. Ce n'est pas le cas pour la victime lorsqu'elle dépose plainte !

Je propose que la victime puisse désormais, également, si elle le souhaite, avoir accès à un avocat d'office.

Aux assises, lorsque l'aide juridictionnelle est sollicitée par l'accusé, son bénéfice est pratiquement de droit. La victime, quant à elle, est astreinte, à des démarches parfois complexes pour justifier de son impossibilité d'assumer les frais de la procédure.

Je propose que la victime d'un crime puisse bénéficier d'une aide juridictionnelle sans aucune procédure préalable.

II - Il appartient ensuite aux pouvoirs publics d'assurer une véritable transparence de l'ensemble du dispositif judiciaire.

L'accès au droit et à l'information est un enjeu majeur de l'aide aux victimes : il est le gage de sa crédibilité.

Cette information doit accompagner la victime à chaque étape du processus d'indemnisation et du processus judiciaire. A aucun moment la victime doit se sentir délaissée ou oubliée.

Il faut commencer par apporter une première réponse d'urgence aux victimes qui viennent de subir le traumatisme d'une agression. C'est dans ces moments qu'elles ont le plus besoin d'une écoute, d'une assistance et d'une orientation.

Le numéro "Azur" d'aide aux victimes que le Ministère de la Justice a chargé l'INAVEM de mettre en place, doit être mieux connu et diffusé. Les premiers résultats sont certes déjà encourageants. Mais il faut passer à une étape nouvelle et étendre ses plages horaires de fonctionnement, de telle sorte que 24h/24, 7 jours sur 7, les victimes puissent composer ce numéro, où elle trouveront aide, écoute et assistance.

J'ai pleinement conscience des efforts que cela implique. Je suis convaincu qu'il sera possible de trouver ensemble des modalités de mise en oeuvre satisfaisantes.

Je lancerai, très prochainement, une campagne de communication auprès du grand public.

- Cette initiative qui concerne l'ensemble du territoire, va de pair avec l'implantation progressive des services d'aide aux victimes d'urgence, les SAVU. Le premier d'entre eux a été inauguré par le Ministre délégué à la Ville, Jean-Louis BORLOO, à Valenciennes, en collaboration étroite avec le procureur de cette ville.

Nous poursuivrons ensemble leur développement sur le terrain.

Il y a là une complémentarité d'actions avec le réseau associatif local que je crois opportune.

D'abord, parce que l'action de ces services doit s'adosser sur les structures associatives. Ensuite, parce que ces services n'ont pas vocation à couvrir l'ensemble du territoire. Ils concernent, au premier chef, les zones urbaines les plus touchées par la montée des actes de violence, là où ils n'existeront pas, les actions de soutien des associations, et le numéro Azur que je viens d'évoquer, seront décisifs.

Un certain nombre de contacts que j'ai eus récemment m'inclinent à penser que les avocats seraient intéressés à apporter leur concours à de telles initiatives.

Je tiens à saluer les expériences spontanément développées par plusieurs barreaux, je pense à celui de Paris, de Créteil et à d'autres encore, pour assurer des permanences spécialisées d'aide aux victimes.

Enfin, je tiens à souligner que l'information ne doit pas, à mes yeux, cesser avec l'issue du procès.

Apprendre par la presse que l'agresseur de son enfant a été libéré traduit, pour la victime, une absence de considération des sentiments qu'elle éprouve et, pour tout dire, une défaillance du système judiciaire.

Il est parfaitement légitime que la victime doit être renseignée, si elle le souhaite, sur l'exécution de la peine. J'y attache une grande importance car cela fait partie de la fonction réparatrice de la sanction pénale.

III - L'Etat doit également affirmer plus clairement sa solidaritéà l'égard des victimes, notamment dans les circonstances qui les fragilisent le plus.

La solidarité doit d'abord se manifester tout naturellement par la prise en compte des besoins matériels essentiels auxquels sont confrontés les victimes dans les situations d'urgence.

Je propose que des réponses simples et immédiates soient apportées à des problèmes aussi concrets que l'hébergement d'une victime de violence de voisinage qui ne peut rentrer chez elle ou encore la prise en charge des frais de transport d'une personne dépouillée de ses papiers et de son argent.

J'ai décidé de saisir le Conseil National d'aide aux victimes de cette question plus complexe qu'il n'y paraît, car elle suppose de parvenir, dans des délais extrêmement brefs, à coordonner des interventions diverses.

Ce conseil, instance de concertation et force de proposition, pourra ainsi jouer tout son rôle. Je propose également d'évaluer les expériences menées sur le terrain, pour nourrir les propositions et les adapter, au plus près des réalités.

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Cette politique nouvelle d'aide aux victimes a bien sûr un coût. Je veillerai à ce que chaque échéance budgétaire me permette, dans le cadre de la loi de programme, de soutenir les actions innovantes indispensables à l'amélioration de la situation des victimes.

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Comme chacun peut le constater, il reste beaucoup à faire. Je suis d'autant plus résolu que je sais pouvoir compter sur votre détermination au service des victimes.

Les actions que vous menez sont autant de témoignages d'un engagement sans faille auquel je tiens à rendre à nouveau hommage.

Je sais que nous pourrons progresser ensemble. Je ne doute pas que ces XVIIIèmes Assises en seront l'occasion.

Je vous remercie.