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Violences conjugales : l'intérêt de l'ordonnance de protection

Publié le 30 septembre 2020 - Mis à jour le 01 mars 2023

« La procédure a été entièrement repensée afin de simplifier au maximum les démarches des victimes ». 

Violences conjugales : l'intérêt de l'ordonnance de protection
Violences conjugales : l'intérêt de l'ordonnance de protection

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Les lois du 28 décembre 2019 et du 30 juillet 2020 ont modifié en profondeur le dispositif de l'ordonnance de protection. Interview de Marie-Charlotte Dalle, magistrate, Directrice adjointe des affaires civiles et du Sceau au ministère de la Justice.

Qu'est-ce que l'ordonnance de protection ? Quel est l'intérêt pour la victime de violences conjugales d'en demander une ?

Marie-Charlotte Dalle (M-C.D) : L’ordonnance de protection permet à la victime de violences conjugales d’obtenir, par une même décision de justice, à la fois des mesures de protection personnelle,  immédiates et effectives, mais aussi des mesures relatives à la vie familiale et à l’organisation de la séparation du couple. Pour les mesures de protection personnelle, on peut notamment citer l’interdiction de contact ou le bracelet anti-rapprochement. Pour les mesures relatives à la vie familiale et à l’organisation de la séparation du couple, on peut mentionner l’attribution du logement familial ou l’exercice de l’autorité parentale.

L’intérêt premier de ce dispositif est d’accompagner la victime dans une sortie du parcours de violences en limitant les démarches judiciaires qu’elle aurait à entreprendre. Le second intérêt est d’offrir une protection à la victime qui ne souhaite pas, pour des raisons qui lui appartiennent et relèvent de son histoire personnelle, entamer des poursuites pénales à l’encontre de l’auteur des violences.

L’ordonnance de protection est en outre assortie de tout un arsenal juridique spécialement conçu pour accompagner très concrètement et matériellement la victime dans sa reconstruction. Une ordonnance de protection permet ainsi à la personne bénéficiaire de se voir attribuer en priorité un logement social ou de débloquer une épargne salariale. Une personne de nationalité étrangère peut pour sa part obtenir une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » en dépit de la cessation de la vie commune.

En quoi le dépôt de plainte et la demande d'ouverture d'une ordonnance de protection sont-ils complémentaires ?

(M-C.D) : Le dépôt de plainte permet de saisir le procureur de la République de faits de nature pénale afin qu’il puisse ouvrir une enquête. Une enquête peut conduire, en cas de poursuites, au prononcé d’une condamnation pénale et au prononcé de mesures de protection à l’égard de la victime. Cette voie procédurale ne permet toutefois pas d’obtenir une décision en urgence sur le logement familial et l’exercice de l’autorité parentale, comme le permet l’ordonnance de protection. Le dépôt de plainte et l’ordonnance de protection constituent en ce sens deux dispositifs complémentaires aux finalités distinctes.

Pourquoi était-il nécessaire de modifier le dispositif de l'ordonnance de protection ?

(M-C.D) : La mobilisation des associations de défense des victimes a permis d’alerter l’opinion publique sur le fléau des violences conjugales et la nécessité d’améliorer certains dispositifs existants. Tel était le cas de l’ordonnance de protection, dispositif en grande partie méconnu des victimes et des acteurs de terrain qui s’orientaient principalement vers des poursuites pénales. Il était donc très important de rendre le dispositif plus visible et surtout plus protecteur pour les victimes, et de simplifier la procédure afin d’inciter les victimes à demander une ordonnance de protection.

Quelles sont les principales modifications apportées à ce dispositif par les lois du 28 décembre 2019 et du 30 juillet 2020 et leurs textes d'application ?

(M-C.D) : La loi du 28 décembre 2019 a apporté deux grandes nouveautés à l’ordonnance de protection.

Ainsi, elle est venue encadrer la durée de la procédure en prévoyant que le juge aux affaires familiales doit rendre sa décision dans un délai court, que le législateur a fixé à  6 jours à compter de la fixation de la date d’audience.

La seconde mesure d’importance est la possibilité de prononcer, dans l’ordonnance de protection, la mise en place d’un bracelet anti-rapprochement. Ce dispositif est précisé dans le très récent décret du 23 septembre 2020.

La loi du 30 juillet 2020 a pour sa part clarifié les textes en prévoyant que le logement familial est attribué à la victime des violences conjugales si elle en fait la demande.

En quoi les textes récents simplifient-ils pour la victime la procédure d’obtention d'une ordonnance de protection ?

(M-C.D) : La procédure de l’ordonnance de protection a été entièrement repensée afin de simplifier au maximum les démarches des victimes de violences conjugales.

Les différentes modalités de saisine du juge aux affaires familiales et de convocation des parties ont ainsi été fusionnées au profit d’une procédure unique. Le juge est désormais saisi par la seule voie de la requête, gratuite et pouvant être rédigée sur papier libre.

Le juge fixe tout de suite la date d’audience dans le délai de 6 jours prévu par la loi. Cette date d’audience est communiquée à la partie adverse (l’auteur des violences) par voie d’huissier de justice.

Les coûts de cette communication sont entièrement pris en charge par l’Etat, la victime n’a aucune démarche à effectuer. Recourir à un huissier de justice permet au juge de rendre sa décision dans le délai de 6 jours, que l’auteur des violences se présente ou non lors de l’audience.

Dans l’hypothèse où il refuse de prononcer une ordonnance de protection, le juge aux affaires familiales  dispose désormais de la possibilité de renvoyer les parties à une audience très proche afin qu’une décision définitive soit rapidement rendue et le conflit familial apaisé.

Qu'est-ce qui a été mis en place par la Chancellerie afin de permettre le développement de ce dispositif ?

(M-C.D) : Lors du Grenelle des violences conjugales, le ministère de la Justice a effectué de nombreux déplacements en juridiction afin de rencontrer les professionnels de terrain que sont les magistrats, les greffes, les avocats, les huissiers de justice et les associations d’aide aux victimes. Ces rencontres ont permis de souligner l’importance fondamentale que présentent les protocoles dans le développement de l’ordonnance de protection. Ces protocoles permettent en effet aux différents professionnels amenés à travailler ensemble de prévoir des circuits d’informations d’urgence et spécifiquement dédiés à l’ordonnance de protection.

Le Comité de pilotage national de l’ordonnance de protection, installé par Madame Nicole Belloubet le 30 juin 2020, a notamment pour objectif d’accompagner les juridictions dans la mise en œuvre de ces protocoles.

Il apparaît que les violences sont fréquemment commises à l’occasion de l’exercice du droit de visite et d’hébergement du parent violent. Quelle procédure peut être mise en œuvre afin de garantir la sécurité de l’enfant et de la mère ?

(M-C.D) : De nombreuses violences familiales sont en effet commises lors de l’exercice du droit de visite et d’hébergement. Le ministère de la justice travaille sur ce sujet  spécifique afin de préserver la sécurité de l’enfant et du parent victime, qui est très majoritairement la mère.

Concernant précisément l’ordonnance de protection, la loi du 28 décembre 2019 est venue préciser que si le juge aux affaires familiales prononce l’interdiction de contact avec le parent non violent, il doit motiver spécialement sa décision de ne pas prononcer d’exercice du droit de visite dans un espace de rencontre désigné ou en présence d’un tiers de confiance.

Un récent décret du 28 juillet 2020 est d’ailleurs venu encadrer les modalités de désignation d’un tiers de confiance par le juge aux affaires familiales pour faciliter l’exercice du droit de visite et d’hébergement.