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L’Affaire Jean Zay ou l’incompréhensible jugement

Publié le 25 juin 2020 - Mis à jour le 03 mars 2023

 

Jean Zay, ministre emblématique du Front populaire fut sauvagement assassiné par la Milice le 20 juin 1944. 10 ans après sa mort, un seul parmi les cinq meurtriers a été jugé. Un jugement d’une curieuse indulgence.

Visuel Grand Procès
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Cette affaire fut avant tout celle de la disparition d’un homme engagé : Jean Zay (1904-1944).
Avocat de formation, il fut nommé en 1936, ministre de l’Education nationale et des Beaux-Arts, administration qu’il rénova indiscutablement. Père des « travaux dirigés » en extérieur, de l’éveil à l’apprentissage autonome, des cours de sport, il fut aussi l’inspirateur des fondations successives du CNRS, de l’ENA, du Palais de la Découverte ; ainsi que le créateur du Festival de Cannes. En septembre 1939, il démissionna de son poste de ministre afin d’être mobilisable. De l’avis de ses supérieurs, il se battit courageusement, sans jamais se dérober face aux périls.

Malgré ses indiscutables états de service, il fut pris pour cible par le régime de Vichy.

Accusé de désertion après un départ en Afrique du Nord avec 26 autres parlementaires pour organiser la lutte contre le nazisme, il fut condamné à la déportation et à la dégradation militaire par un tribunal militaire. Ce sont les mêmes termes que ceux de l’infâmant jugement jadis rendu à l’encontre du capitaine Dreyfus. Bien sûr, Jean Zay est ainsi maltraité pour être issu d’une famille juive, en plus d’être franc-maçon et socialiste. Il passa plus de trois ans à la prison de Riom.

Le 20 juin 1944, un groupe de trois miliciens escorte le prisonnier Jean Zay hors les murs, après avoir présenté un ordre de transfert pour une autre maison d’arrêt, signé par Jocelyn Maret (responsable de la sécurité de la Milice de Vichy) sur consigne écrite de M. Raymond-Clémoz directeur du cabinet de Joseph Darnand (secrétaire d’Etat à l’intérieur et créateur de la Milice). Selon l’historien Antoine Prost, cette procédure n’est pas authentique, et dissimule en réalité un ordre d’exécution de la part de Vichy.

Une fois sur place, il est fusillé en criant « Vive la France ! ». Jeté dans une crevasse appelée le « Puit du diable », dans laquelle est ensuite lancée une grenade, il n’est retrouvé qu’en 1946 par deux chasseurs, et identifié en 1948.

En février 1953, le procès de son assassinat à lieu au tribunal militaire permanent de Lyon.

Seul Charles Develle – l’homme qui, de son propre aveu, fusilla Jean Zay – répondra en personne de ses actes devant la justice. Les autres se sont enfuis à l’étranger et sont donc jugés par contumace (Henri Millou s’évanouit en Allemagne ; Jocelyn Maret disparaît en Argentine) ou ils sont morts (M. Raymond-Clémoz a été fusillé à la Libération ; Pierre Cordier a été tué par des résistants).

Tous les membres du tribunal sont officiers ou sous-officiers. Seul l’avocat de la défense est un civil. Pour les faits reprochés aux accusés, il est d’usage que la juridiction militaire soit saisie. Précisons également que les différents tribunaux d’exception existant à la Libération ont été fermés depuis longtemps au moment où se déroule ce procès. 

Invoquant l’irresponsabilité, l’avocat de Charles Develle, Maître René Floriot, plaide habilement en qualifiant son acte de « crime politique », et en le présentant comme un simple rouage victime de la propagande vichyste. De son côté le commissaire du gouvernement, le colonel Perrier, requiert la peine de mort pour l’ensemble des accusés. Il estime que cet acte fut la conséquence logique de l’engagement de ces hommes, actifs collaborateurs et miliciens.

Le jugement est étonnant puisqu’il condamne les absents à la peine de mort, et Charles Develle aux travaux forcés à perpétuité. Cette décision suscita l’incompréhension des contemporains et désormais celle des historiens. Il est en effet curieux qu’un pareil acte – véritable exécution sommaire – ait été traité avec tant de clémence, au regard des peines prononcées contre les autres membres du groupe de miliciens. Il faut ajouter à cet étonnement celui suscité par la libération de Develle deux ans plus tard. Sans doute, la période d’épuration étant révolue, cette décision s’inscrit-elle dans une volonté d’apaisement de la société française.

Charles Alfonsi
Master 2/ Science politique