Il y a 25 ans, le premier procès filmé
Le procès de Klaus Barbie et la mise en oeuvre de la loi Badinter de 1985
Il y a tout juste 25 ans, le 11 mai 1987, s'ouvrait devant la cour d'assises du Rhône le procès du criminel nazi Klaus Barbie.
Outre l'impact émotionnel énorme entourant cette affaire, ce procès est aussi notoirement connu pour avoir été le premier à être filmé en France conformément à la loi Badinter du 11 juillet 1985 qui autorise l'enregistrement audiovisuel ou sonore de certaines audiences publiques pour la constitution d'archives historiques de la justice.
La loi de 1881 sur la liberté de la presse ne comporte aucune équivoque : « dès l'ouverture de l'audience des juridictions administratives ou judiciaires, l'emploi de tout appareil permettant d'enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l'image est interdit ». Il est interdit de filmer une audience afin de sauvegarder l’objectivité et la sérénité des débats ; voilà l’état du droit dans les années 1980, lorsque le procès de Klaus Barbie se prépare.
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RAPPEL HISTORIQUE Chef de la section IV de la Gestapo en France, Klaus Barbie traqua sans relâche résistants et personnes de confession juive de 1943 à 1945 et sera directement responsable de la mort de plusieurs centaines d'entre eux. Condamné à la peine capitale par contumace en 1952 par le Tribunal permanent des forces armées de Lyon, Klaus Barbie se réfugia en Amérique du Sud dans les années 60. Il y obtint la nationalité bolivienne et fut finalement extradé vers la France dans la nuit du 4 au 5 février 1983. Ses crimes de guerre, comme les tortures sur Jean Moulin, étant prescrits à cette date, il fut accusé de crimes contre l'humanité (imprescriptibles depuis 1964) et son procès s'ouvrit quatre ans plus tard le 11 mai 1987. Pour mémoire, il lui a été imputé, en France, 4342 assassinats, 7581 déportations de juifs ainsi que 14311 arrestations et tortures de résistants.
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Contexte
Robert Badinter est Garde des Sceaux, ministre de la Justice, depuis deux ans lorsque Klaus Barbie est extradé en France en 1983. L’ancien chef de la Gestapo est accusé de crimes contre l’humanité.
La loi de 1985 promulgée
Vu l’atrocité des faits et le nombre exceptionnel de victimes, le procès s’annonce historique et médiatique. Ne conserver aucune trace de ce procès pour la mémoire paraît inconcevable. La loi Badinter sur la constitution d’archives audiovisuelles de la justice est promulguée le 11 juillet 1985. Elle permet l’enregistrement audiovisuel ou sonore de l’intégralité des débats à partir de points fixes dans la salle d’audience « lorsque cet enregistrement présente un intérêt pour la constitution d'archives historiques de la justice ». La diffusion de l’enregistrement est subordonnée à l’autorisation du président du tribunal de grande instance de Paris. Le délai de vingt ans pour pouvoir diffuser l’enregistrement a été supprimé en 2008. Après cinquante ans, la diffusion est libre.
Le procès de Klaus Barbie sera le premier procès français filmé.
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LA COMMEMORATION DU PROCES EN JURIDICTION (COUR D'APPEL DE LYON) « L'audience est ouverte. Je demande aux services d'ordre d'introduire l'accusé s'il vous plait (...) Veuillez vous asseoir Monsieur l'accusé ». C'est par ces mots prononcés par le président André Cerdini que débuta, le 11 mai 1987 à 13 h 04, devant la cour d'assises du Rhône, au Palais de Justice Historique de Lyon, le procès de Klaus Barbie. Des mots presque ordinaires pour un procès évènement, un procès hors normes à bien des égards. « Personne n'est sorti du procès Barbie comme il y est entré » Pierre Truche. Lire la suite... |
Robert Badinter et l’application de la loi de 1985
Depuis le procès Barbie, cinq procès ont été filmés ou sonorisés dans le cadre de la loi de 1985, principalement des procès historiques et médiatiques. Robert Badinter le regrette :
« A mon grand regret, on a limité la portée de cette loi en procédant principalement à l’enregistrement des grands procès des criminels contre l’humanité, sans jamais filmer la justice quotidienne. Les archives audiovisuelles sont pourtant indispensables pour connaître la société d’une époque ».* En effet, l’exposé des motifs de la loi de 1985 indique que doivent être enregistrés les procès revêtant « une dimension événementielle, politique ou sociologique tels qu’ils méritent d’être conservés pour l’Histoire ».
Robert Badinter préconise de filmer la justice quotidienne, les audiences correctionnelles ou prud’homales afin de constituer des archives de la justice, sans pour autant permettre de les diffuser immédiatement : « il faut veiller au respect de la présomption d’innocence, de la protection de la vie privée et du droit à l’image » et ne pas tomber dans la "justice-spectacle".
Situation internationale
La législation de nombreux Etats permet de filmer les audiences et même de les diffuser en direct ou en léger différé à la télévision ou sur internet. Les juridictions internationales et européennes, telles que la Cour pénale internationale et la Cour européenne des droits de l'Homme, procèdent ainsi.
Les pistes de travail en France
En France, le débat lié à la présence des caméras dans les prétoires est récurent. En 2005, le Rapport Linden propose des pistes de travail dans l'objectif de clarifier les enjeux institutionnels et culturels de cette réintroduction. En 2010, la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) prévoit que les audiences sont filmées et diffusées sur le site internet du Conseil constitutionnel.
* Source : Dossier "Filmer la justice" TéléObs du samedi 24 avril 2010
ET DEPUIS...
D'autres procès ont été filmés pour leur dimension historique :
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Procès dit "du sang contaminé " en 1992 (1ère instance) et 1993 (appel) : Les docteurs Michel Garretta, Jean-Pierre Allain, Robert Netter et Jacques Roux sont poursuivis pour tromperie et non-assistance à personne en danger, dans l'affaire des produits sanguins administrés en 1985 à des personnes atteintes d'hémophilie, leur transmettant le virus du sida. Ils sont condamnés en appel aux peines respectives de 4 ans de prison ferme et 500 000 francs d'amende, 4 ans de prison dont 2 avec sursis, 1 an de prison avec sursis et 3 ans de prison avec sursis. Les deux procès font l'objet d'un enregistrement sonore.
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Procès de Paul Touvier en 1994 : Paul Touvier, ancien chef du service de renseignement de la milice pour la région de Lyon est poursuivi pour crime contre l'humanité. Il lui est reproché d'avoir désigné sept personnes de confession juive pour être fusillées en représailles de l'assassinat, par des résistants, du ministre de l'information, Philippe Henriot. Le procès s'ouvre en mars 1994 devant la cour d'assises des Yvelines et Paul Touvier est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Les débats sont intégralement enregistrés par vidéo.
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Procès de Maurice Papon en 1998 : Maurice Papon est poursuivi pour avoir participé à la déportation de 1690 juifs, dont 200 enfants, de Bordeaux vers Auschwitz. Après 16 ans de procédure, le procès s'ouvre le 8 octobre 1997. la cour d'assises de Gironde condamne Maurice Papon le 2 avril 1998, après un délibéré de près de 19 heures, à 10 ans de réclusion criminelle et à la privation de ses droits civiques pour complicité de crimes contre l'humanité. Seules sont reconnues des complicités d'arrestation et de séquestrations. Le procès est intégralement filmé.
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Procès AZF en 2009 (1ère instance) et en 2011/2012 (appel) : Le 21 septembre 2001, une explosion au sein de l'usine chimique AZF fait 31 morts, des milliers de blessés et des dégâts considérables à Toulouse. En 2009, les 400 heures de débats du premier procès sont intégralement enregistrées. Les avocats de Total s'y sont opposés, mais la Cour de cassation a tranché en leur défaveur. En 2011, à la demande du Comité de défense des victimes et de l'Association des familles, la Cour d'appel de Toulouse autorise l'enregistrement intégral du procès en appel.
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Procès Pinochet en 2010 : C'est un procès essentiellement symbolique qui s'ouvre à Paris le 8 décembre 2010. 14 chiliens, pour la plupart des militaires acteurs de la dictature chilienne d'Augusto Pinochet, sont poursuivis pour des faits d'arrestations, enlèvements, séquestrations arbitraires avec actes de tortures et de barbarie commis à l'encontre de 5 français entre 1973 et 1977. Bien qu'aucun d'entre eux ne soit présent dans le box des accusés, ils sont jugés et condamnés à des lourdes peines de réclusion allant de 15 ans à la réclusion criminelle à perpétuité. Ce procès pour l'histoire est entièrement filmé.
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