Cinq questions sur l’aide juridique
Interview de Gaël Abline, rédacteur au bureau de l’aide juridictionnelle
La publication du rapport triennal du Conseil national de l’aide juridique est l’occasion de faire le point sur ce système protecteur. Depuis la loi du 10 juillet 1991, le droit à une information juridique gratuite pour tous (accès au droit) et à une prise en charge des frais de Justice par l’Etat pour les plus démunis (aide juridictionnelle) sont inscrits dans notre législation.
En quoi notre système se distingue-t-il de celui des autres pays européens ?
Le système français est celui qui est le plus étendu. Il couvre l’ensemble des contentieux devant toutes les juridictions mais également les procédures précontentieuses. La France a fait le choix d’élargir au maximum le dispositif d’aide juridique, tandis que dans de nombreux Etats européens, l’aide juridictionnelle est concentrée sur les procédures les plus attentatoires aux droits des personnes.
On a beaucoup parlé du non recours aux aides sociales, notamment en ce qui concerne le RSA (plus d’un quart d’ayant droit ne le demandent pas). Qu’en est-il de l’aide juridictionnelle ?
Différents rapports font état d’un non-recours à l’aide juridictionnelle partielle. Pour les personnes touchant entre 930 et 1393 euros par mois, la contribution de l’Etat n’est pas totale. Elle se fait par tranche : 85, 70, 55%, et ainsi de suite, de manière dégressive… On se rend compte que l’utilisation de ce dispositif est très faible au regard de la population qui pourrait en bénéficier. La complexité de la demande et le caractère incertain du coût de la procédure pourraient expliquer, selon les rapports, pourquoi les ayants-droit ne l’utilisent pas.
La deuxième zone d’ombre concerne les populations les plus précarisées. Malgré la densité de nos structures, elles ont rarement connaissance de l’existence des dispositifs d’aides. Elles sont malheureusement à l’écart de la plupart des administrations et institutions.
Y’a-t-il un type de contentieux pour lequel il est plus fortement fait appel à l’aide juridictionnelle ?
Oui, le contentieux de la famille (divorce principalement). Il représente 60% des dépenses de l’aide juridictionnelle en contentieux civil. Le contentieux civil représente 2/3 des dépenses globales.
Dans une bien moindre mesure, il y a un pôle en augmentation ces dernières années : la Cour nationale du droit d’asile. Il y a une très forte demande de l’aide juridictionnelle devant celle-ci, puisque la plus grande partie des demandeurs d’asile sont sans ressource lorsqu’ils arrivent sur le territoire français.
Le rapport évoque justement des nouveautés concernant les demandeurs d’asile…
Certaines pièces demandées pour instruire un dossier d’aide juridictionnelle en situation normale n’ont pas de pertinence dans le cas d’un demandeur d’asile. Prenons l’exemple du bulletin de paie. Ces gens arrivent, le plus souvent, sans travail ni patrimoine. D’après nos statistiques, il y a moins de 0,5% de rejet de dossiers pour des conditions de revenus. Analyser de A à Z l’ensemble de leurs ressources, leur demander des bulletins de paie comme pour un dossier classique, c’est probablement perdre un peu de temps… De manière rationnelle, il fallait adapter la procédure d’instruction des dossiers. Un décret est en cours de publication sur ce point.
Quels défis pour l’aide juridique ces prochaines années ?
Environ 900 000 personnes bénéficient chaque année de l’aide juridictionnelle. De ce point de vue, le système joue son rôle. Mais avec l’aggravation de la situation économique, plus de personnes sont à même de solliciter l’aide juridictionnelle. Il est à craindre une augmentation des admissions sans qu’il n’y ait plus de financement. Une réflexion est actuellement menée pour rationaliser le système. Nous avons déjà des pistes qui permettraient de faire des économies sans toucher à la qualité des prestations, et une étude dans le cadre de la MAP (modernisation de l’action publique) est en cours.
Podcast : Qu’est-ce que le CNAJ ? Qu’est-ce que l’aide juridictionnelle ? Ecouter l’interview de Gael Abline.
© Ministère de la Justice - Dicom - Aurélie Louchart
Le rapport du Conseil national de l’aide juridique (format pdf)
Le rapport du Conseil national de l’aide juridique (format intéractif)