200 ans du code de commerce & 60 ans de la chambre commerciale
Interview de Daniel Tricot, président de chambre honoraire à la Cour de cassation
Docteur d’État en droit, agrégé des facultés de droit en droit privé et en sciences criminelles, Daniel Tricot a été doyen de la Faculté de droit et de sciences politiques de Dijon. Avocat aux barreaux de Dijon et de Besançon, il est intervenu notamment comme expert auprès de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement. Conseiller à la Cour de cassation en 1991, il est devenu président de la chambre commerciale en 2003, fonction qu’il a quittée il y a tout juste quelques semaines.
Un colloque organisé le 4 octobre 2007 par la Cour de cassation a commémoré les soixante ans de la chambre commerciale . L’occasion pour Daniel Tricot de s'exprimer sur la jurisprudence de la chambre, les conditions de son évolution, ses rapports avec la pratique des acteurs économiques.
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A l’heure actuelle, quel bilan pouvez-vous dresser des soixante ans d’existence de la chambre commerciale de la Cour de cassation ?
« Le bilan, c’est un peu le colloque qui l’a tiré, l’idée c’est bien sûr que le code de commerce existe depuis 200 ans, les juridictions commerciales des tribunaux de commerce depuis 444 ans. Mais peut-être le fait qu’il y ait eu en France une chambre commerciale et financière devenue ensuite chambre commerciale, financière et économique a eu une influence nette sur la personnalisation, sur l’identification du droit commercial. Et les travaux de ce colloque l’ont démontré dans des domaines comme le droit des sociétés, comme le droit des procédures collectives, comme le droit des contrats. Il y a là véritablement un enrichissement par les tribunaux, les juges du fond et la Cour de cassation. En fait quand la Cour de cassation et sa chambre commerciale valident une solution ou en précisent la portée, elles contribuent à la construction du droit commercial. »
Quel rôle a joué la jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation dans la recodification du code de commerce ?
« A titre personnel, un certain nombre de membres de la chambre commerciale ont participé aux travaux de la codification du code de commerce. Moi-même, quand j’étais conseiller à la chambre commerciale, j’étais membre de la commission supérieure de codification et j’ai particulièrement travaillé, avec d’autres, à la codification. Il est apparu que la codification du code de commerce - c’est-à-dire le fait de refaire à droit constant le code de commerce -supposait aussi qu’on fasse en même temps un code monétaire et financier. Et c’est grâce à ces deux codes qu’on a réussi cette opération, qui a d’abord consisté à rassembler en un seul livre ou deux livres (deux codes) la plupart des textes applicables au droit des affaires. Ce que l’on constate et ce qui a été souvent assez évoqué aujourd’hui, c’est qu’il y a bien des notions comme celle de la cessation de paiements comme celle de la confusion de patrimoines qui ont été inventées par la jurisprudence et qui ont été reprises par le législateur dans le code. Et quand la solution est reprise en général, elle l’est à droit constant, c’est une officialisation. Ils dégagent les quelques règles que la jurisprudence a déjà posées pour les mettre sous forme de loi. C’est une sorte de consécration par le législateur de la jurisprudence. Mais il arrive que le législateur écarte au contraire des solutions de jurisprudence. On a beaucoup parlé du soutien abusif. Il est clair que la dernière loi de 2005 a supprimé le soutien abusif pour en faire autre chose, avoir recours à d’autres notions. »
En quoi les rapports de la chambre commerciale avec les autres chambres contribuent-ils à l’élaboration de la jurisprudence ?Peut-on parler d’un droit unifié, d’une cohérence ?
« C’est indispensable de parler d’un droit unifié et d’une cohérence et c’est ce que j’ai essayé de montrer. La chambre commerciale est l’une des six chambres, elle s’intègre dans l’ensemble de la Cour de cassation et il ne faut pas qu’elle aboutisse à faire une jurisprudence spécifique. Ce qui est vrai c’est que, par divers mécanismes, la chambre commerciale a une approche différente du contentieux et elle peut, soit dans son domaine spécifique du droit des affaires, soit plus généralement dans le domaine du droit des obligations, influencer les solutions. Par exemple, la notion de crédit en droit des affaires a une grande importance; en droit civil c’est quasiment inconnu. La perception du temps a une très grande importance aussi: si vous expliquez à un civiliste qu’une créance a finalement été payée parce qu’elle a été payée un an plus tard, il va vous dire que l’exécution a été assurée, l’obligation a été respectée. Mais si vous dîtes ça à un commercialiste il va vous rire au nez! Il va vous dire « ce que je veux c’est l’argent au jour où vous me le devez, à l’échéance, pas un an plus tard » car un an plus tard, cette créance a déjà perdu le tiers, la moitié, les trois quarts ou un morceau de sa valeur. Ce n’est plus la même chose. Les commercialistes sont très sensibles à cet aspect du temps, les civilistes beaucoup moins. »
La jurisprudence de la chambre commerciale reflète-t-elle la réalité économique et sociale actuelle ?
« J’espère bien ! On fait tout pour que cela le soit, j’ai arrêté mes fonctions il y a quelques semaines mais cela ne changera pas avec le nouveau président car il ne faut pas croire que c’est le président qui fait la jurisprudence ! C’est la chambre bien sûr, mais j’espère bien. Et ce que nous pouvons faire, c’est dans des dossiers où il y a des problèmes nouveaux, susciter des interventions d’administrations, d’organismes professionnels, pour qu’ils nous expliquent comment ils voient le problème de manière que nous puissions, quand on le jugera, avoir une information la plus complète possible. Si je donnais l’exemple des plateformes logistiques, quand on change le transport alors que traditionnellement le transport ça veut dire « je prend une marchandise chez l’expéditeur, moi transporteur et je l’emmène chez le destinataire. » Maintenant il existe plein de transports qui se font avec l’intermédiaire d’une plateforme logistique au sein de laquelle on va étiqueter, conditionner, changer les emballages, peut être même transformer le produit… que devient le contrat de transport en aval et en amont de cette plateforme? Les obligations nées du contrat de transport doivent-elles être appréciées de la même manière ou pas selon qu’au milieu de l’opération de transport il y a une plateforme logistique ? C’est la question qui va être tranchée dans quelques semaines ou quelques mois par la chambre commerciale. Mais elle sera tranchée avec une consultation grâce à l’avocat général et une communication à toutes les parties des positions de chaque agent économique de manière à ce que la chambre puisse faire un droit concret, pragmatique, appliqué, utile. »