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L’affaire Tonglet-Castellano ou le « procès du viol »

Publié le 26 septembre 2019

Crédits photo : C.Lacène-DICOM-Justice

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Il y a 30 ans, trois hommes étaient condamnés à de la prison ferme pour le viol d’un couple de jeunes femmes. Une décision forte de sens à une époque où la loi ne reconnaît pas le viol comme un crime. Retour sur une lutte acharnée menée par ces deux femmes et leur avocate, Gisèle Halimi, qui aboutira à une modification de la loi et une redéfinition du terme.

L’histoire d’Anne Tonglet et d’Araceli Castellano est celle d’un couple de jeunes vacancières belges, battues et violées par trois hommes dans la nuit du 21 août 1974, dans une calanque de Marseille où elles campaient avant de rejoindre un camp naturiste. Une scène d’horreur pourtant minimisée.

En effet, leur orientation sexuelle ainsi que leurs pratiques naturistes qui sont alors, pour certains, une preuve de mœurs dissolues sont mises en avant pour les discréditer. Lorsqu’elles décident de porter plainte, leur audition se transforme en véritable interrogatoire pour savoir si, au fond, elles ne l’avaient pas cherché. À cela s’ajoute le fait que les suspects, appréhendés quelques heures après le viol, prétendent qu’elles étaient consentantes.

Comme pour chaque viol à l’époque, les faits sont requalifiés en coups et blessures « n'ayant pas entraîné une incapacité totale de travail personnel supérieur à huit jours » et seront donc jugés comme un délit en correctionnelle.

Une première bataille pour un procès aux Assises

En France, le viol est réprimé dans l’article 331 du Code Pénal depuis la loi de 1810. Il est classé, à l’époque, dans les « attentats aux mœurs » et ne concerne que les pénétrations vaginales avec éjaculation perpétrées hors mariage et avec violence. Ici, la loi cherche surtout à protéger les maris et les familles du déshonneur que représenterait un enfant bâtard. Ironie du sort, on apprendra plus tard qu’Anne Tonglet a subi une IVG suite à ce viol.

Afin de faire reconnaitre comme crime, le viol qu’elles ont subi, le couple se rapproche des associations féministes et de Gisèle Halimi, grande avocate des droits des femmes, notamment célèbre pour sa plaidoirie contre l’interdiction de l’avortement lors du procès Bobigny. Celles-ci se mobilisent jusqu’au 17 septembre 1975, jour de l’ouverture du procès, où elles se rassemblent pour faire pression sur le tribunal correctionnel de Marseille qui finit par se déclarer incompétent. L’affaire est renvoyée devant les assises.

Une reconnaissance du viol

En attendant le nouveau procès, les rassemblements féministes se poursuivent, la parole se libère peu à peu. Gisèle Halimi veut faire de cette affaire, le « procès du viol ». Elle procède comme pour le procès de Bobigny, elle la médiatise et refuse le huis-clos.

Le procès s’ouvre finalement le 2 mai 1978 à Aix en Provence et suscite un engouement médiatique inédit. Pour parler de la place des femmes, l’avocate fait appel à des personnalités politiques et intellectuelles. Mais le président refuse de les entendre. À l’extérieur du Palais de Justice, les tensions sont palpables entre les militantes féministes et les soutiens des trois accusés.

Au terme de deux jours d’audiences chahutées, au cours desquelles Gilbert Collard, alors avocat des accusés, dénonce une « machination monstre », le verdict tombe. Serge Petrilli, le meneur, est condamné à six ans de prison pour viol, les deux autres à quatre ans pour tentative de viol. Un soulagement pour les victimes et leur avocate.

Une nouvelle définition juridique

À travers cette lutte pour la reconnaissance du viol comme crime, ce procès a permis d’ouvrir un grand débat national et va pousser les politiques à agir. 

En juin 1978, deux propositions de lois sont présentées, au Sénat, par les groupes socialistes et communistes, avec, pour la première fois, une réelle définition du crime de viol.

Les deux textes sont fusionnés et longuement débattus au Sénat puis à l’Assemblée Nationale. Il faudra finalement attendre le 23 décembre 1980 pour que la nouvelle loi soit promulguée. Elle définit le viol comme : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte ou surprise » dans l’article 222-23 du Code Pénal. Cette nouvelle définition élargit donc le viol à tous les cas de pénétration sexuelle et le réprime plus fortement par quinze ans de réclusion criminelle contre cinq auparavant. D’autres dispositions sont aussi adoptées : le huis-clos n’est plus obligatoire, les associations peuvent se porter parties civiles et le nom des victimes ne doit pas apparaître sans leur accord. Des avancées comme autant de victoires pour ce « procès du viol » devenu historique.

Emma Le Goff
M2/Institut Français de Presse