Le Châtelet de Paris
Retour sur une juridiction ancienne
Juridiction royale, le Châtelet de Paris était le siège de la prévôté de la capitale. Compétent au premier degré pour tous les cas civils et criminels relevant de son ressort, à l'exception des cas royaux (lèse-majesté, hérésie...), il se situait à l’extrémité du pont entre la Cité et la rive opposée. Prenant progressivement de l’importance, son activité va perdurer jusqu’à la Révolution.
ORIGINES
Elevé à la porte des villes ou à la tête des ponts, le Châtelet diffère du château par l’absence de bâtiments autre que ceux nécessités pour le service de la défense. La première mention du Châtelet de Paris remonte à un capitulaire de Charles le Chauve en 877 qui prescrit la construction de forteresses en tête des deux ponts de Paris pour assurer la défense de la ville contre l’assaut Viking. La construction de la rive droite s’appela par la suite le Grand Châtelet et celui de la rive gauche, le Petit Châtelet. Ce dernier est resté célèbre lors du siège de Paris (885-886) : douze hommes, restés retranchés après l’effondrement du pont, y luttèrent jusqu’au bout contre l’envahisseur normand.
Plusieurs fois rebâti et remanié, il devint inutile à la défense suite à la construction de l’enceinte de la ville de Paris par Philippe-Auguste en 1190. Le Châtelet devint alors une juridiction royale ainsi que la demeure du prévôt (lieutenant préposé par le roi pour administrer la juridiction en son nom; établi dès le Xème siècle sous Hugues Capet).
Simple prévôté, le Châtelet va prendre de plus en plus d'ampleur compte tenu de sa situation topographique privilégiée et de l’étendue de son territoire.

COMPETENCES
Attributions et ressort
Le Châtelet joue un double rôle administratif et juridique puisqu’il est chargé notamment de maintenir la sécurité et la salubrité publiques, de se prononcer sur divers différends, de lutter contre la sédition, de réglementer les corporations et métiers, de déjouer les fraudes du commerce…
Le sceau du Châtelet
Le Châtelet est la première juridiction à détenir un sceau aux armes du roi. Il s'agissait d'une fleur de lys fleuronnée avec, à sa gauche, un écu aux armes de France et de Champagne et, à sa droite, le Châtelet.
La légende était la suivante : "Sigillum prepositure Parisiensis" (sceau du prévôt de Paris)


Sentences
Les jugements rendus, appelés sentences, sont toujours motivés, à la différence des cours supérieures. Influencée par le droit canonique, l’instruction criminelle suit une procédure secrète et écrite. Chaque accusé est interrogé sur la sellette. Et dans le cas d’un accusé étranger, un interprète est mis à disposition.
Les peines prononcées peuvent être très dures :
Toutes ces peines emportent la confiscation des biens du condamné ainsi que l’infamie. Voic quelques exemples de peines au XIVème siècle :
pour un homicide : pendaison les mains liées devant
pour faux-monnayage : bouilli à mort
pour un premier vol : oreille droit coupée
L’apparition de l’appel s’effectue au début du XIVème siècle et change les rapports entre le Châtelet et le Parlement de Paris, qui étaient jusqu’à alors inexistants. Désormais, le Châtelet est un tribunal de premier degré dont les sentences peuvent être soumises à la révision du Parlement, après examen par la cour du fondement de l’appel.
COMPOSITION
La multiplicité des affaires nécessite un personnel nombreux et varié. Sous Louis XIV, on recense environ 1200 agents participant au bon fonctionnement de la juridiction du Châtelet. Il est notamment composé :
Du prévôt : Fonction ancienne remontant au haut Moyen-Age, le prévôt
était à l’origine le chef de la justice (qu’il rendait au nom du roi), un administrateur politique et financier, le chef des troupes de la ville mais aussi le chef de la noblesse. Vêtu d’une robe courte couleur écarlate, d’une épée, d’un chapeau à plumes et d’un bâton de commandement entouré d’étoffes d’argent, il jouissait de hauts privilèges réservés aux ducs et pairs de France. Chef de la juridiction, il loge au Petit Châtelet. Le titre de prévôt était initialement donné à ferme, c’est-à-dire moyennant une redevance en nature ou en espèce. Saint Louis met fin à cet abus au XIIIème siècle, puis Louis XII exige à partir de 1498 que le prévôt soit docteur "in utroque jure" (c’est-à-dire diplômé en droit civil et en droit canon) et que ses officiers soient choisis parmi des jurisconsultes éminents. Charge importante et fondamentale à l'origine, le titre de prévôt va peu à peu perdre de son ampleur au profit du lieutenant civil.
D’un lieutenant civil : Compétent pour tout ce qui concerne la réglementation des diverses professions, l’approvisionnement en vivres, l’entretien de la voirie et la lutte contre les épidémies et les séditions, le lieutenant civil exerce de hautes fonctions judiciaires mais aussi des fonctions d’administrateur de la ville de Paris. Il va devenir progressivement le vrai chef du Châtelet.
D’un lieutenant criminel : Compétent pour les affaires d’ordre public mineures, il s’occupe également de tous les crimes commis dans l’étendue de la ville et des faubourgs de Paris. Il est également chargé d’accompagner les condamnés à mort jusqu’à l’échafaud.
La police (considérée comme le pouvoir réglementaire dont la mission est de faire régner l’ordre et la prospérité) est disputée entre ces deux lieutenants du Châtelet et la municipalité de Paris. Suite à un arrêt du Parlement de Paris rendu en 1630 qui reconnaît la compétence du lieutenant civil en matière de police, l’insécurité n’en reste pas moins extrême à Paris. Elle est tellement grandissante que les deux lieutenants du Châtelet vont être assassinés dans les années 1660. Le lieutenant criminel, Tardieu, est tué en 1665 suite à un vol et, en 1667, c’est le lieutenant civil Dreux d’Aubray qui est empoisonné par sa propre fille, la marquise de Brinvilliers.
La mort du lieutenant civil va entraîner une réforme de la fonction : il est privé des compétences de police pour exercer uniquement une activité contentieuse.
A partir de ce moment-là, la police va être confiée à un personnage de confiance, appartenant au conseil du roi, sous le titre de lieutenant de police.
D’un lieutenant général de police : le
lieutenant de police est un agent à double casquette : il dépend du roi mais également de l’ordre judiciaire puisqu’il est lieutenant du Châtelet. Chargé du maintien de l’ordre public (réglementation des attroupements), de la sécurité publique (éviter les incendies), de l’approvisionnement en vivres, de la surveillance des activités de production et des différentes professions existant à Paris, il bénéficie de compétences administratives et judiciaires voisines des compétences des intendants dans les provinces. Le premier lieutenant de police est Nicolas de la Reynie, dont le titre devient en 1674 "lieutenant général de police". Il va contribuer à améliorer l’ordre, la sécurité publique, instituer l’éclairage public et faire disparaître la cour des miracles.
De lieutenants particuliers : ils interviennent au présidial, tribunal créé par Henri II au XVIème siècle, compétent en appel des juridictions ressortissants au Châtelet et pour certaines causes réservées, prévues par l’édit de 1551.
De conseillers
D’un procureur du roi
D’examinateurs
D’auditeurs
De quatre avocats du roi
De notaires
De greffiers
De commissaires
D’huissiers
Le Châtelet était organisé en plusieurs chambres, parmi lesquellesles principales étaient :
La chambre civile où siégeait le lieutenant civil assisté d’un avocat pour des affaires sommaires.
La chambre criminelle où le lieutenant criminel était assisté d’un avocat pour les affaires de petite criminalité et de conseillers pour les affaires plus importantes.
La chambre du procureur du roi où celui-ci rendait ses conclusions sur les affaires criminelles, recevait les dénonciations, traitait les affaires relatives au corps des marchands, arts et métiers et rendait des "avis", jugements soumis à la confirmation du lieutenant général de police.
LES GEOLES ET LA PREMIERE MORGUE
Le Châtelet abritait dans ses bâtiments une série de prisons où étaient détenus les inculpés et les condamnés (la Bastille étant réservée aux coupables de marque et aux prisonniers d’Etat). Le haut du gros donjon abritait les chambres à pistoles (espace réservé aux prisonniers payants) et au premier étage s’étendait une grande salle où pouvaient s’entasser les plus pauvres, "les pailleux". En contrebas se trouvaient les cachots souterrains, affublés de noms sinistres, tels que la fosse, le puits, la barbarie, la fin d’aise, l'oubliette (on y faisait descendre le détenu à l’aide d’une corde et d’une poulie) ou la chausse d’Hypocras (perpétuellement les pieds dans l’eau, le détenu ne pouvait ni se tenir debout ou couché)

Un règlement datant de 1435 rendu au Grand Châtelet fixa les redevances et droit de couchage à payer au geôlier selon l’endroit de détention.
A la base, la prison du Châtelet était prévue pour retenir l’accusé et non pour le maltraiter ; aussi le Parlement, à la fin du XVIIème siècle, a-t-il règlementé son fonctionnement afin de faire régner l’ordre entre les prisonniers, adoucir leur sort et restreindre la cupidité des geôliers. Un registre d’écrou devait être scrupuleusement tenu et indiquer les noms des prisonniers ainsi que le motif de leur arrestation. Les prisonniers devaient tenir leur cellule propre et pouvaient recevoir l’aumône en la présence du geôlier, qui était tenu de leur apporter de la nourriture en quantité suffisante et de bonne qualité. De plus, une fois par semaine, les substituts du procureur général visitaient la prison afin d’entendre les prisonniers ou de recevoir leurs plaintes (en l’absence du geôlier).
A l’origine, le mot "morgue" renvoyait à la notion de "visage", de "mine" ; les prisonniers amenés dans les cellules du Châtelet étaient alors "morgués" par les geôliers, c’est-à-dire dévisagés avec insistance afin de pouvoir les identifier clairement en cas d’évasion ou de récidives. Par extension, les cellules furent qualifiées de "morgue".
Transférées plus tard dans une autre partie du Châtelet, les "morgues" furent destinées à l’exposition des cadavres trouvés sur la voie publique ou noyés dans la Seine pour procéder à leur identification. Une sentence d’Hugues Aubriot (prévôt de Paris sous Charles V) datée de 1371 mentionne pour la première fois le dépôt de cadavres au Châtelet.Les religieuses de l’hôpital Sainte-Catherine, rue Saint-Denis, étaient chargées de les laver et de les inhumer au cimetière des Innocents.
DISPARITION
En 1780, Louis XVI ordonne la fermeture et la démolition du Petit Châtelet, qui sera effective en 1782.

De 1802 à 1810 le Grand Châtelet est détruit ; un arrêté de 1806 y trace l’emplacement de l’actuelle place du Châtelet.
