Histoire et architecture de la cour d'appel de Colmar
Série "Patrimoine des juridictions" - Publication n°1
La cour d'appel de Colmar, dont le bâtiment est de style néo-baroque allemand, a une histoire de plusieurs siècles. Nous vous proposons de retracer son histoire à travers le temps.

La cour d'appel de Colmar à travers le temps
Après sa longue conquête de l’Alsace, Louis XIV organise les institutions et la justice de la région. Il crée une juridiction d’appel en Alsace qui s’installera définitivement à Colmar le 1er mai 1698, dans l’actuel tribunal de grande instance.
Les différents régimes se succèdent en France à partir de 1789 mais le Consulat ancre la justice d’appel à Colmar en Alsace par la création des tribunaux d’appel (Constitution du 22 frimaire An VIII), malgré les prétentions de Mulhouse et de Strasbourg. Le 10 juin 1811, l’Empereur des Français, Napoléon Ier, institue la cour impériale de Colmar.
La Guerre franco-prussienne de 1870 signe la fin du Second empire et l’occupation de l’Alsace par l’armée prussienne. Napoléon III ayant été fait prisonnier par les Prussiens après la défaite de Sedan, la République est proclamée le 4 septembre 1870. La cour impériale devient cour d’appel de Colmar.
Toutefois, bien avant qu’un quelconque armistice ou traité ne soit signé entre les belligérants, l’occupant prussien se comporte en terre conquise en Alsace en empêchant les magistrats de rendre la justice au nom de la République française et en expulsant les magistrats récalcitrants. Exaspérés par cette situation, les magistrats se réunissent en Assemblée générale le 5 décembre 1870 à la cour d’appel de Colmar pour y prendre une délibération sous forme de protestation.
Cette protestation n’est pas du goût des Allemands qui occupent dès le lendemain le palais de justice et expulsent les chefs de cour. Des trente magistrats composant la cour française en 1870, un seul, le plus jeune a accepté de siéger à la cour d'appel allemande "Kaiserliches Appelationsgericht", installée dans le même palais le 7 Janvier 1871.
Le traité de Francfort, signé le 10 mai 1871, met fin à la guerre et scelle l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par l’Allemagne. Elles deviennent un Reichsland de l’Empire allemand.
En cette fin de XIXème siècle, le palais de justice est en fort mauvais état et trop exigu. D’autant que l’ancien palais n’était pas exclusivement alloué à la justice par la Ville de Colmar, les combles étaient loués aux lavandières et les caves aux viticulteurs qui entreposaient leurs fûts de vin nouveau.
Après de longues tergiversations, la décision de construire un nouveau palais de justice est prise en 1900. C'est la Ville de Colmar qui offre le terrain aux services judiciaires et donne un crédit de 400 000 marks pour financer les travaux. L’étude des architectes alsaciens Kuder et Müller est retenue à l’issue d’un concours de projets. Les travaux débutent en mai 1902 pour une livraison de l’édifice le 17 septembre 1906.
La Première guerre mondiale éclate en 1914. Le Traité de Versailles en marque la fin et prévoit le retour de l’Alsace et de la Moselle au sein de la République française. Les autorités françaises procèdent au rétablissement de la cour d’appel de Colmar le 3 février 1919.
Mais la paix fut de courte durée et vingt années plus tard, la Seconde guerre mondiale éclate, plaçant à nouveau l’Alsace et la Moselle sous le joug de l’occupant allemand qui les annexe de fait. Dès juin 1940, l’occupant impose l’application des lois allemandes en violation de la souveraineté française. La cour d’appel de Colmar est supprimée et le ressort judiciaire est rattaché à la cour d’appel de Karlsruhe. De nombreux magistrats durent quitter l'Alsace.
Colmar est libérée par les Alliés le 2 février 1945. Le 19 mars, la cour d’appel de Colmar est réinstallée par le garde des sceaux et les chefs de cour, après quatre années et huit mois d’interruption de ses travaux.
Le fruit de cette longue histoire mouvementée est la subsistance d’un droit local Alsacien-Mosellan, droit particulier constitué de dispositions issues tant du droit allemand que du droit français et qui ne s’applique qu’en Alsace et en Moselle. La cour d’appel de Colmar et la cour d’appel de Metz conservent donc la spécificité d’appliquer également le droit local Alsacien-Mosellan.

Un palais de justice de style néo-baroque allemand
Palais de l’ancien Oberlandesgericht (tribunal régional supérieur allemand) construit entre 1902 et 1906 par les architectes strasbourgeois Kuder et Müller, le style de la cour d’appel de Colmar s’inspire du baroque allemand du XVIIIème siècle.
Le bâtiment a été érigé sur un socle de granit, le sous-sol est en grès rose des Vosges alors que la façade est en grès blanc-gris. Il comporte trois étages.
Après avoir dépassé deux obélisques surmontées d'un globe à l'entrée, le justiciable est accueilli par un imposant portique de six colonnes ioniques reposant sur un vaste balcon. La porte centrale, monumentale, est flanquée de deux colonnes surmontées d'une sculpture de la déesse grecque de la vengeance et de la justice distributive, Nemesis, dont le visage est enserré par de nombreux reptiles.
En parvenant dans le hall d’entrée, le visiteur dépasse les tentures pourpres pour fouler un tapis rouge qui mène vers le somptueux escalier d’honneur où se trouve une tapisserie des Gobelins du XVIIème siècle reproduisant une célèbre fresque de Raphaël représentant « Attila chassé de Rome ».
L’on se retrouve ensuite, au gré des couloirs, des patio et galeries, mis en présence d’une iconographie particulièrement riche avec des réminiscences incas, grecques et asiatiques, notamment cambodgiennes ; puis nez-à-nez avec des têtes de boucs placées à l’entrée de la grande salle d’audience au rez-de-chaussée, ainsi que des personnages folkloriques au premier étage, tels qu’une tête d’alsacienne et de lorraine, un ouvrier, un meunier…
Pour préserver ce bâtiment d’exception, les façades, les toitures et le hall d’entrée avec l’escalier d’honneur de la cour d’appel ont été inscrits sur l’inventaire des monuments historiques par un arrêté du 16 février 1985.

