POUR ATTRIBUTION
Procureurs
généraux près les cours d'appel - Procureurs
de la République près les tribunaux supérieurs
d'appel - Premiers présidents de cour d'appel - Magistrats
du siège
- 10 mai 2001 -
Afin
d'accroître les moyens des services de police judiciaire
spécialisés en matière économique
et financière, le législateur a souhaité
mettre à la disposition de l'autorité judiciaire
des enquêteurs spécialisés issus du ministère
de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est dans cet esprit que le nouvel article 28-1 du code de procédure
pénale résultant de la loi n° 99-515 du 23 juin 1999
renforçant l'efficacité de la procédure pénale
dispose que des agents des douanes de catégorie A et B, spécialement
désignés par arrêté des ministres chargés
de la justice et du budget, pourront être habilités
à effectuer des enquêtes judiciaires sur réquisition
du procureur de la République ou sur commission rogatoire
du juge d'instruction.
Le législateur a ainsi voulu tirer parti de l'expérience
acquise en matière économique par les agents des douanes
en leur conférant le pouvoir de mener des enquêtes
judiciaires, selon les règles du code de procédure
pénale, dans des domaines qui constituent le champ habituel
de leur activité : fraudes douanières, fraudes en
matière de contributions indirectes, de contrefaçons
de marques de fabrique, de commerce ou de service, ainsi que les
infractions pénales connexes à ces faits.
Ce dispositif qui tend à accroître
les moyens mis à la disposition de l'autorité judiciaire
s'inscrit dans le prolongement de la constitution des pôles
économiques et financiers qui ont également pour objet
d'améliorer le traitement des procédures économiques
et financières complexes, notamment grâce au recours
à des assistants spécialisés.
Il permettra aussi de contribuer à une meilleure protection
des intérêts financiers de l'Union européenne,
conformément à l'esprit des circulaires diffusées
sur cette question (13 avril 1995, 16 février 1996 et 6 décembre
1996).
Il va enfin permettre de renforcer la coopération en matière
de lutte contre les grands trafics internationaux, entre les services
répressifs des Etats membres de l'Union européenne,
qu'ils soient douaniers ou de police judiciaire.
I.
- CHAMP D'APPLICATION DE L'ARTICLE 28-1 DU CODE DE PROCÉDURE
PÉNALE
Les agents des douanes habilités à
effectuer des enquêtes judiciaires ne peuvent intervenir que
dans les domaines strictement délimités par la loi.
Leur compétence est une compétence d'attribution,
à la différence de celle des officiers de police judiciaire.
Ils disposent d'une compétence sur l'ensemble du territoire
national pour l'exercice des missions découlant de la mise
en œuvre de l'article 28-1 du CPP.
Il convient de distinguer les domaines dans lesquels ils peuvent
procéder seuls aux investigations des domaines dans lesquels
des équipes mixtes peuvent être constituées
à l'initiative des parquets ou des juges d'instruction (les
domaines de compétence font l'objet d'une synthèse
reprise sous forme de tableaux en annexe I).
1.
Les domaines de compétence des agents des douanes habilités
lorsqu'ils agissent seuls
Les agents des douanes seront habilités à constater
des infractions qui ressortissent à leur domaine habituel
de compétence.
Il s'agit pour l'essentiel des fraudes relatives au commerce international
(contrebande, importation et exportation sans déclaration…),
des fraudes au budget communautaire (ressources propres, FEOGA-Garantie)
ainsi que des transferts de capitaux en provenance ou à destination
de l'étranger soumis à une obligation déclarative.
Les infractions en matière de contributions indirectes pourront
aussi faire l'objet d'enquêtes judiciaires. Il s'agit des
infractions prévues par le code général des
impôts (alcool et boissons alcoolisées, tabacs, spectacles,
garantie des métaux précieux…) mais aussi des infractions
spécifiques dans le domaine de la viticulture (ordonnance
n° 59-125 du 7 janvier 1959) et des céréales (textes
annexés aux décrets de codification du 24 avril 1936
et 23 novembre 1937, loi du 5 juillet 1941…).
Il en va de même des contrefaçons de marques de fabrique,
de commerce ou de service (sont visées les infractions prévues
par les articles L. 716-9 à L. 716-11 du code de la propriété
industrielle : reproduction, imitation, utilisation, apposition,
suppression ou modification d'une marque en violation des droits
conférés par son enregistrement, importation sous
tous régimes douaniers, ou exportation de marchandises présentées
sous une marque contrefaite…).
Les infractions pénales connexes à ces catégories
d'infractions pourront être de même constatées
par ces agents.
De nombreuses infractions de droit commun peuvent en effet être
connexes à des infractions douanières, comme par exemple
l'escroquerie et l'abus de confiance dans le cadre du détournement
de l'utilisation de sommes provenant du budget communautaire, le
faux et l'usage de faux dans le cadre de fausses déclarations
d'origine, d'espèce ou de valeur lors du dédouanement
de marchandises.
Toutefois, les domaines repris au point I.2 ont été
exclus par le législateur de la compétence des agents
des douanes habilités agissant seuls. Le trafic de stupéfiants,
le trafic d'armes, le vol de biens culturels et le blanchiment de
ces trois catégories d'infractions sont expressément
exclus du domaine de compétence des agents des douanes, sous
réserve de la possibilité qui leur est donnée
d'intervenir au sein d'unités constituées temporairement
d'agents des douanes habilités et d'officiers de police judiciaire.
2.
Les domaines de compétence des agents des douanes
habilités, intervenant dans le cadre d'équipes mixtes
A l'initiative du procureur de la République ou du magistrat
instructeur, des équipes mixtes composées d'agents
des douanes habilités et d'officiers de police judiciaire
(policiers ou gendarmes) peuvent être constituées en
vue de mener des investigations dans deux domaines spécifiques.
Il s'agit des infractions en matière de trafic de stupéfiants
visées aux articles 222-34 à 222-40 du code pénal,
des infractions prévues par le décret-loi du 18 avril
1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes
et munitions et des infractions connexes à ces deux premières
catégories d'infraction.
Ces équipes mixtes sont mises en place par le procureur de
la République ou le juge d'instruction qui désigne
le chef de chaque unité qu'il constitue en fonction des caractéristiques
propres à l'enquête (service à l'origine de
l'information, compétences des enquêteurs…).
3.
Les secteurs traditionnels d'intervention de l'administration des
douanes susceptibles de donner lieu à des enquêtes
judiciaires à l'initiative des parquets et des magistrats
instructeurs
Dans le cadre de ses missions, l'administration des douanes intervient
dans les secteurs les plus variés comme celui des intérêts
financiers de l'Union européenne, mais également pour
protéger les intérêts économiques et
financiers nationaux.
Quatre cent cinquante types de contrôles différents
sont ainsi exercés dans les relations avec les pays tiers
à l'Union européenne, mais aussi dans les relations
intracommunautaires et à l'intérieur du territoire
national.
Dans ce contexte, des secteurs prioritaires de contrôle ont
été définis, dont certains pourraient donner
lieu à des enquêtes judiciaires :
1° En matière de politique agricole commune, la douane exerce
des contrôles dans le cadre de la protection des intérêts
financiers de l'Union européenne, notamment en ce qui concerne
le FEOGA-Garantie (à titre d'exemple, le versement de restitutions
pour certains produits agricoles sous réserve de leur exportation
en dehors du territoire douanier de la Communauté européenne
se traduit parfois par le non-respect de l'obligation d'exportation
et par la revente des produits sur le marché national ou
européen).
2° En matière de produits textiles, la douane contrôle
les mesures de politique commerciale commune et l'application des
préférences tarifaires accordées à certains
pays partenaires par la Communauté européenne (à
titre d'exemple, certaines entreprises de la Communauté européenne
souscrivent de fausses déclarations d'origine, lors de l'importation,
afin de bénéficier des dispositions plus favorables
accordées à certains pays en matière de taxation
ou pour contourner la mise en place d'un quota).
3° Les produits pétroliers : la douane contrôle l'ensemble
de la filière pétrolière et assure la perception
des impôts qui représentent une ressource importante
pour le budget de l'Etat (à titre d'exemple, les produits
pétroliers bénéficiant d'une fiscalité
privilégiée dans le cadre d'utilisations spécifiques,
comme le fioul domestique, peuvent être employés à
d'autres fins, comme la carburation de véhicules, au détriment
du budget de l'Etat).
4° Les biens à double usage (civil et militaire) : les agents
des douanes vérifient dans les échanges intracommunautaires
et dans les relations avec les pays tiers, à la circulation
ou lors des formalités douanières, que ces biens sensibles
ont donné lieu à l'obtention d'une licence d'exportation.
L'inobservation de cette formalité constitue un délit
douanier de contrebande.
5° Les stupéfiants : la douane intervient en amont lors du
franchissement des frontières, mais aussi sur l'ensemble
du territoire (en cette matière, les agents des douanes ne
peuvent participer aux enquêtes judiciaires qu'au sein d'équipes
mixtes constituées avec des OPJ).
6° Les contrefaçons : la contrefaçon constitue un
délit douanier indépendamment de l'application des
dispositions du code de la propriété intellectuelle
(l'importation de jouets sous une marque contrefaite constitue un
délit douanier spécifique, ainsi qu'une infraction
pénale au titre de l'application des dispositions du code
de la propriété intellectuelle).
7° Les régimes douaniers sensibles : la douane contrôle
des régimes douaniers susceptibles de présenter une
plus grande perméabilité à la fraude comme
le régime du transit permettant le transport des marchandises
en suspension des droits et taxes (à titre d'exemple, un
transport de cigarettes entre la Suisse et le Portugal sous le régime
du transit communautaire doit se traduire par un apurement dans
le pays de destination soit par le paiement des droits et taxes
lors de la mise à la consommation, soit par le placement
sous un autre régime permettant la suspension ou l'exonération
des droits et taxes ; la fraude consiste à apurer le régime
avec de faux cachets douaniers pour obtenir l'exonération
du paiement, tout en commercialisant les cigarettes sur le marché
communautaire).
8° Le trafic par conteneur : la douane procède à de
nombreuses vérifications de ce vecteur de transport qui a
pris une part non négligeable dans l'activité des
ports européens et qui peut masquer des trafics en tout genre
(contrebande de cigarettes, trafic d'espèces protégées
de la faune ou de la flore, stupéfiants. A titre d'exemple,
des matériels HI-FI peuvent être dissimulés
dans les chargements afin d'échapper à la taxation
et alimenter ensuite l'économie souterraine).
9° La protection des consommateurs et de l'environnement : la douane
vérifie le respect de la réglementation des déchets
et procède à des vérifications de normes techniques
(jouets, matériels électriques…) à l'occasion
des importations (à titre d'exemple, des importateurs peu
scrupuleux ont pu s'affranchir du respect des normes de sécurité
lors de l'importation de fours à micro-ondes, de guirlandes
électriques ou de lunettes d'éclipse).
10° Les droits antidumping : la douane contrôle des mesures
antidumping destinées à protéger l'industrie
communautaire (à titre d'exemple, des marchandises vont être
déclarées originaires d'un pays non soumis à
ce dispositif alors qu'elles proviennent en fait d'un pays pratiquant
le dumping et soumis aux mesures communautaires visant à
sauvegarder les conditions de concurrence).
11° Les contributions indirectes : la douane intervient sur les
plans fiscal et économique concernant de nombreux produits
réglementés (alcool, tabac, métaux précieux
; à titre d'exemple, un professionnel du commerce des alcools
pourra omettre de déclarer son activité afin d'échapper
au paiement du droit de consommation sur les alcools).
Dans toutes ces matières, il conviendra que soient déterminées,
en étroite concertation entre les parquets généraux
et la direction générale des douanes et des droits
indirects, des politiques d'emploi des agents des douanes habilités
à effectuer des enquêtes judiciaires, à partir
de critères définis en commun.